2H26 de film en noir et blanc. « Le cheval de Turin » n'échappe pas à la tradition des films contemplatifs qui ne sont pas avares en pellicule et cela peut justifier aisément l'annonce du réalisateur de se retirer du milieu du cinéma. Après avoir réalisé 8 films, il réalise ce dernier et annonce son désir de s'adonner à son autre métier, l'enseignement. Ce départ est expliqué par les difficultés (grandissantes) de financements de ses films. De plus, Tarr considère que ce type de cinéma n'intéresse plus grand monde et n'a donc plus raison d'en faire. Bref, le bonhomme est déprimé.

Donc qu'en est-il de cet ultime film ?

N'ayant vu que « Les Harmonies Werckmeister », mon analyse se base sur cela et le livre de Jacques Rancière, «Bela Tarr, le temps d'après » qui décortique sa filmographie pour en faire comprendre son essence même aux néophytes.

Esthétiquement parlant, il n'y a pas grand-chose à dire, c'est de haute volée, le noir et blanc est sublime, la mise en scène est excellente. En gros, la forme est totalement maitrisée, le film est composé essentiellement de plans séquences.

Le fond intéresse les critiques négatives du site, c'est bien beau d'avoir un beau film mais quand ça dure 2H26, c'est un peu limite. Et c'est bien normal. Je suis en partie de cet avis. Tarr a fait un film contemplatif, comme son nom l'indique il prend son temps. On blague beaucoup sur la fameuse scène du repas avec la patate mais il faut bien avouer que ça a de la gueule et qu'au final j'ai trouvé vraiment super bien filmé et pas si chiant que ça. Je rassure les détracteurs du film, ça m'est arrivé de me faire chier pendant le film mais au final plus je repense au film et plus je me dis que ça a valu le coup. Question de goût.

Chaque scène est un tableau en noir et blanc et l'ultime scène ou le fermier et la fille est d'une rare beauté. Mais certes, Pendant 2H26 on voit s'écouler 5 jours de leurs quotidien, les journées se répètent éternellement.

Dans son livre, Rancière explique que Tarr est un cinéaste du réel et que son but ultime n'a jamais été de faire des films esthétiquement beaux mais des films réalistes. Et que la beauté de ses films provient naturellement des décors qu'il filme. Au final, il suffit de contempler la nature pour s'en apercevoir, il retranscrit l'existant. La filmographie de Tarr a pour pierre angulaire la disparition du communisme et chacun de ses films a toujours été une manière de parler des pays comme la Hongrie avant et après le communisme. En cela, « Le cheval de Turin » est son ultime œuvre car il a réussi à le dépouiller au maximum d'artifices qui faussaient la vision du monde selon lui. Ici, les 5 jours que l'on voit sont réalistes et décortiques parfaitement la misère de cette famille, Tarr est matérialiste. Il n'y a pas d'autres films à réaliser après celui-ci puisqu'il y décrit un pays sans communistes et sans capitalistes, sans systèmes ni villes. Juste un vieil homme, une femme, un cheval et la nature. Et quand, au final, ils s'en vont pour aller s'installer ailleurs, ils finissent par revenir car il n'y a plus rien à part du vent et des plaines désertiques. Entre allégorie apocalyptique et ultime critique du communisme, tarr livre ici sa vision philosophique du monde son degré le plus poussé.

Le fameux monologue du voisin venant chercher de l'alcool en est une autre preuve. Monologue époustouflant de force et de pessimisme, il peut être destiné autant aux financiers, au monde de l'art ou aux spectateurs. Il accuse le monde d'être endormi dans une torpeur et ne veut pas se réveiller, il prophétise la ruine de la société, la ruine artistique et la ruine cinématographique.
Bela Tarr parle souvent de dimension cosmique. Il faut savoir que le fameux arbre de la fin du film a motivé Tarr dans le choix de son lieu de réalisation. En le voyant, il a décidé que le film serait tourné là, il a fait construire la fameuse maison qui devrait accueillir le vieil homme et sa fille. Au final, l'acteur principal du film reste bien l'arbre, tout comme dans « Les harmonies Werckmeister » où tout tournait autour de la baleine.
En introduction des harmonies, des ivrognes mimaient, dans un bar, le mouvement des planètes gravitant autour du soleil. Dans « le cheval de Turin », les personnalités, le prophète, les tsiganes gravitent autour de l'arbre comme la terre autour du soleil.

Au final, en regardant ce film, je me rends compte que ça dimension artistique est plus humble que le dernier Malick, par exemple. Avec une mise en scène à l'échelle humaine pour un message à une échelle cosmique.
Non ce film n'est pas quelque chose il est juste la conclusion d'une seule et unique œuvre, ce dernier ne s'aborde pas seul mais plus comme la continuité d'une réflexion qui aura prise 30 ans à aboutir. C'est pour cela que ma note est si faible mais que probablement après avoir vu tout ses films elle explosera sans problème le 10.

Effectivement, si la bande son est excellente car réaliste, la quasi absence de musique fait vraiment trainer le film et il faut bien avouer que la dernière demi heure est rude.
Terriblement pessimiste et compliqué, ce film a rebuté énormément de personnes, les spectateurs ont préféré crier à l'arnaque artistique plutôt que de se renseigner et de chercher à comprendre l'artiste.

Tarr en est fautif en partie, quand on ne donne pas les clés pour comprendre une œuvre il n'y a pas de miracles. Mais je crois que c'est ce qui l'a déçu au final, le manque de curiosité d'un public toujours plus sévère a eu raison de lui. Pourtant cela n'empêche pas les gens de considérer Nostalghia de Tarkovski comme un pur chef d'œuvre sans pour autant comprendre le sens de nombreuses scènes. Sens qui existe bien et qui n'est pas juste pompeusement filmé pour faire croire que c'est intelligent comme le sous entende ceux qui choisissent le chemin de la facilité au chemin de la réflexion et de la contemplation (je renvois à la définition philosophique du terme pour que les gens comprennent bien que le film en respecte bien les codes sans pour autant en être un cliché).

Aujourd'hui, le cinéma a perdu un grand.
CREAM
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le 19 déc. 2011

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