La première heure est un exceptionnel jeu de massacre, où jamais le surplomb ricaneur ne prend le pas sur l'angoisse qui monte dans le dérèglement imperceptible des choses. Lequel s'incarne dans une idée simple (à laquelle Bunuel a eu la folle audace de croire !) : les bourgeois ne parviennent plus à manger. Tantôt le repas est annulé car ils se sont trompés de jour ou que le directeur de l'auberge vient de mourir, tantôt c'est une méprise qui les fait fuir (le couple d'hôte a été vu s'enfuir dans le jardin... en fait pour des ébats amoureux) car ils n'ont pas la conscience tranquille, tantôt le salon de thé n'a plus ni thé ni café (!!) ou le dîner est interrompu par l'arrivée de militaires qui s'entraînent dans le jardin. Le tout sur un ton placide extraordinairement réjouissant, avec une mention spéciale pour Stéphane Audran qui hérite de la partition la plus drôle en maîtresse de maison.
Au bout d'une heure, une image choc vient déchirer le film : le rideau du salon bourgeois se lève sur une salle de spectateurs et le repas se révèle être une scène de théâtre. De cette image terminale, le film ne se relèvera pas. Il aurait dû s'arrêter là. Car il s'agit en fait du rêve de JP. Cassel, et toute la dernière demie-heure enchaîne des séquences qui s'avèrent rêves ou cauchemars (de Frankeur puis de Rey) désamorçant chaque fois leur charge subversive dans un côté "tout se vaut" : les images ne sont plus que des images.
C'est dommage mais cela n'annule pas le génie de la première heure. Avec son film suivant, "Le Fantôme de la liberté" et son savant enchaînement de saynettes, Bunuel trouvera la forme parfaite.