« Si on ne se sent pas libre, à quoi ça sert de vivre ? »


C’est sur cette notion de liberté que se fonde le film, au titre évocateur pour certains, un peu racoleur pour d’autres, si tant est qu’un corps nu exposé aux regards ne laisse pas d’interpeller.


Toutefois, plus qu’un sujet d’érotisme, la mise à nu de Laura est d’abord une épreuve de vérité:la « vérité nue » qu’elle exige des êtres qui l’entourent, lesquels lui renvoient invariablement l’image d’une société figée dans la morale bourgeoise et conventionnelle des années 1960.


En apparence Laura se prête complaisamment au jeu qu’on attend d’elle, se laissant choyer par un père, homme avant tout, fier de sa belle et grande fille, quand elle ne se fait pas sermonner par sa mère, qui, robe noire et rangs de perles, lui rappelle qu’à 20 ans l’heure de convoler a sonné.


Enfant gâtée et femme désirable, c’est ainsi que dès la scène d’ouverture, la jeune fille nous apparaît : nue sous une serviette, à demi endormie, un léger sourire flottant sur ses lèvres charnelles, Laura se prélasse au lit, comme elle le fait chaque jour, dans sa chambre d’enfant, ignorant délibérément le klaxon impatient de Franco, son petit ami et bientôt son mari.


Un comportement qui, d’emblée, donne le ton : Laura se plie aux convenances de la bonne société véronaise pour mieux les remettre en question, et derrière la légèreté et l’insouciance affichées, c’est toute la détermination d’une jeune femme, rétive à suivre des balises imposées, qu’on lit dans son regard.


Mariée sans conviction, Laura traverse la vie à contre-courant dans une sorte d’errance affective: d’humeur changeante, mobile et fantasque, elle prend des amants pour tromper son ennui, au gré de ses désirs du moment.


Ce n’est probablement pas un hasard si elle succombe au charme ténébreux de Marco, le jour même de son mariage : alors, certes, la caméra les filme dans un lit, mais si la scène est belle, c’est qu’elle est empreinte d’une vraie sincérité dans leur échange après l’amour, mettant à jour les tâtonnements et les interrogations de l’héroïne en proie à une crise existentielle.


Pas un hasard non plus, si Laura laisse partir le seul homme dont elle est tombée amoureuse, le seul qui ait « réveillé chez elle un désir de vivre des sentiments qui ne semblait l’effleurer qu’en rêve. »
Mais entrée dans la vie à reculons, elle est encore une enfant comme le lui dit Marco, sensible à cette part d’enfance et d’idéal, ému par la fragilité qu’il perçoit chez cette toute jeune femme.


Mariage, maternité, autant de jalons qui marquent le passage à l’âge adulte et dont Laura détourne les codes : c’est sa façon, à elle de dire « non », de proclamer haut et fort, en donnant son corps sans jamais s’abandonner, que la prédiction de Claudia, sa meilleure amie, qui lui lance d’un air désabusé, où perce un certain désespoir : « On y passe toutes », ne lui est pas destinée, que cette résignation morale ne la concerne pas.


Suffit-il, cependant, pour se désennuyer, de multiplier les aventures, suffit-il d’être prodigue de son corps pour se venger d’une société qui nie à la femme tout droit d’évoluer ? Suffit-il de coucher pour être libre et heureuse ? Et surtout, «comment vivre quand on est en dehors de toute case imposée?»


Imprévisible, Laura charme ou agace par ses nombreuses volte face, ses envies, ses caprices, voire sa volonté un peu puérile, lorsqu’elle s’empare du volant, conduisant à une allure folle, de renverser les rôles, s’appropriant la virilité de l’autre et affirmant ainsi, croit-elle, sa puissance d’émancipation.


Toutefois, ce portrait d’une fille libre refusant les conventions, « ce cri désespéré d’une jeune femme éprise de vérité et de liberté » ne laisse pas indifférent, nous rappelant, comme un parfum de Nouvelle Vague, L’Avventura, sorti un an plus tôt.
Film étonnamment moderne dans les questionnements qu’il suscite encore, sur la place de la femme dans la société actuelle.


L’occasion aussi d’admirer le superbe N&B nimbant de douceur la campagne de Vérone dans des clairs obscurs très travaillés reflétant les états d’âme de Laura, ses doutes et ses confusions.
Giorgia Moll incarne Laura « la désenchantée », une actrice que l’on retrouvera chez Godard deux ans plus tard, en jeune traductrice, dans Le Mépris.

Aurea

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