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Difficile de se mettre dans la peau de qui est si mal dans sa peau

D'où, sans doute, ce sentiment qu'on éprouve, durant les vingt ou trente premières minutes, d'avoir raté le train du film et d'être resté sur le quai. On ne comprend pas trop ce qui meut ou travaille l'héroïne. On voit bien, d'emblée, qu'elle est hyper mal dans sa peau... puisque sauvée in extremis du suicide par un coup de sonnette providentiel (ou inopportun selon le point de vue), mais ça ne nous touche que peu, puisqu'on ne comprend rien encore à ses états d 'âme et que sa nature grinçante, revêche nous déconcerte. On la devine quand même vieillissante, seule, dure et sans doute blessée (mais par quoi ?) et ayant, malgré tout et étrangement, un certain sentiment de sa valeur. Elle vient de prendre sa retraite de fonctionnaire, elle travaillait à la mairie (un chef de service craint et peu aimé de ses collaborateurs). Néanmoins, petit à petit, on approche son problème et on en arrive au coeur du film, à son vrai sujet... pourvu qu'on n'ait pas quitté la salle avant ou qu'on ne se soit pas assoupi dans son fauteuil. Les dernières soixante minutes sont de plus en plus intéressantes, pour peu qu'on ait un peu la fibre musicale.


Elle se sentait l'étoffe d'une grande pianiste. Elle a cessé de jouer, quand elle a réalisé qu'elle n'avait pas suffisamment de talent pour le devenir, mais elle a tenu le rôle de professeur de piano, un prof extrêmement rigoureux, vis à vis de son fils et aujourd'hui, ce soir, c'est un jour de consécration pour lui : il donne un grand concert, au Conservatoire de musique de la ville (Berlin ?), au cours duquel il jouera notamment une de ses compositions (pour piano et cordes). Lara devrait être heureuse que le talent de son fils et élève soit clairement reconnu et elle l'est bien sûr, mais cela réveille d'autant plus en elle le regret de n'avoir pas réussi à devenir ce qu'elle se sentait être... ainsi sans doute qu'une sorte de jalousie d'artiste vis à vis de son fils.


Si l'histoire n'est pas facile d'accès, c'est aussi parce que Lara donne, pendant une bonne partie du film, l'image d'une femme froide, limite méchante (qu'elle soit malheureuse n'étant pas une excuse, juste une explication). Ainsi, elle se rend chez sa vieille mère, chez qui son fils s'est réfugié depuis des semaines et, au détour de la conversation, soudain la gifle ; elle casse subrepticement l'archet du violon de la petite amie de son fils (tout en signant son méfait puisque ça ne peut être qu'elle qui l'a cassé) ; elle jette plus ou moins le doute dans l'esprit de son fils sur la qualité de sa composition, alors qu'il doit la jouer deux, trois heures plus tard, etc.


Et pourtant, petit à petit, on s'attache à cette histoire, on s'intéresse aux rapports qui existent entre Lara et son fils, on s'intéresse à Lara elle-même (superbement interprétée par Corinna Harfouch) et à ce que lui révèle tardivement son vieux, farouche et désabusé professeur de piano qu'elle respecte et admire. La dernière scène est très belle.
Et on se dit que le deuxième film du jeune (41 ans) réalisateur allemand Jan Ole Gerster, aussi austère et froid qu'il apparaisse d'abord, vaut bien son premier (Oh Boy) . Il y a un lien évident entre les deux : Tom Schilling, qui joue ici le fils de Lara, était le héros et personnage principal de Oh Boy. Sinon, les deux films sont très différents l'un de l'autre (et pas seulement parce que Lara Jenkins est en couleur et Oh Boy dans un très beau noir et blanc, façon Nouvelle Vague), au point que j'en ai été épaté.
Jan Ole Gerster : un cinéaste allemand à suivre.

Fleming
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le 3 mars 2020

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