Avec son quatrième film La Zone d’intérêt, Jonathan Glazer pose sa caméra en plein centre du camp d'Auschwitz et nous immerge au sein d'une famille à la petite vie tranquille. Le film débute avec cette image d'une famille en picnic. On comprend très vite qu'il sont allemands et que le film se déroule dans les années 40, avec les costumes et la voiture, puis la tenue des nazi, le camps et la plongée dans l'horreur en 1943. Cette famille nazi est si ordinaire, si médiocre, à seulement deux pas du mur d’Auschwitz, du génocide industrialisé, avec ses problèmes d’intendance, de vacances, de famille, de travail, de jardinage, de couple ... ils nous ressemble tant, c'est terrifiant !

Aprés une sortie idyllique au bord d'un lac, Jonathan Glazer nous plonge ensuite dans le quotidien du commandant Rudolf Höss (Christian Friedel), de sa femme Hedwig (Sandra Hüller) et de leurs enfants, habitant dans une maison avec jardin, située juste à côté du tristement célèbre camp d'Auschwitz. Une sorte de théâtre de l'horreur dans lequel deux mondes totalement différents sont séparés par un mur et des barbelés, et où l'un ignore l'autre, même au sein de sa propre maison.

La famille Höss c'est une famille angélique, des gens biens sur tout rapport (si on les observe au quotidien) qui ont choisi d'ignorer l'horreur, car c'est justement l'horreur qui leur donne la possibilité d'être des personnes importantes au sein de la société allemande et qui les maintiennent dans le statu quo. Si vous examinez les photos des grandes figures nazies dans un contexte intime, en famille, vous verrez exactement la famille Höss dans chacune d'elles. Vous verrez des parents souriants, des épouses belles et heureuses, des enfants dans la splendeur.

Dans La Zone d’intérêt, rien ou presque n'est montré et tout est suggéré. Tout se passe hors cadre, avec comme message principal, la banalisation de l'horreur. Tout dans ce film nous met mal à l'aise, l'ouverture dans le noir qui dure deux "longues" minutes, la musique au piano jouée par une jeune fille innocente car inconsciente de tout ce qui joue derrière le mur, la grand-mère qui se réveille de sa sieste et qui respire la mort dans l'air, les plans dans les couloirs qui suivent une servante se mettant en quatre pour un verre de schnaps, qui lavent les bottes de cendres, de sang ... tout, absolument tout installe le malaise.

L'utilisation des sons est surprenante et surtout très percutante, elle ouvre la possibilité d'une expérience personnelle de ce qui se passe au-delà des murs. De l'horreur derrière le mur, nous n'en percevons que les sons. On voit Hedwige qui consacre tout son temps à parfaire son jardin paradisiaque. Puis, elle essaye le manteau de fourrure d'une prisonnière juive, trouvant du rouge à lèvres que la pauvre femme avait dû cacher dans l'une des poches du manteau. On voit son mari vouer un amour inconditionnel pour les animaux (ses chevaux, les chiens qu’il croise) et se montrer affectueux avec ses enfants (sa lecture d'Hansel et Gretel), un contrepoint effrayant à la froideur avec laquelle il exécute des centaines d'êtres humains. On voit la terreur et l'angoisse des servantes du couple nazi. On voit le fils qui joue avec les dents arrachées à des prisonniers juifs. On voit la vie et la mort qui ne tiennent qu'à un fil ...

La Zone d’intérêt est une expérience cinématographique très intense, avec une pléiade de bonnes idées de mise en scène. Les hors-champs sonores alternent avec les images d'un quotidien banal (les enfants qui jouent et l'épouse qui s'occupe de son jardin). Toujours de par sa mise en scène, Jonathan Glazer nous fait comprendre qu'il n'y a aucun amour au sein de cette famille. Les parents dorment dans des lits séparés. Hedwige se fiche éperdument de la réaction de sa mère qui quitte précipitamment le foyer. Les enfants sont la plupart du temps livré à eux-mêmes. Le mari trompe sa femme avec une juive (dans son bureau) et sa femme le trompe également avec le jardinier juif (dans la serre).

Il n'y a pas d’amour dans le couple, mais Hedwige a de l’emprise sur son mari. Rudolph Höss est commandant de par son statut, mais dans le foyer, c’est clairement sa femme qui commande. Elle est froide envers tout le monde, y compris ses enfants. Mais l'un des dialogues les plus "glaçants" du film est sans conteste celui de la mère d'Hedwige, qui, marchant et admirant le jardin, dit : "Une de mes voisines juives doit être à l'intérieur [du camp de concentration]. J'avais une passion pour les rideaux de sa maison, mais je ne les ai pas achetés aux enchères. Elle avait l'air d'une femme honnête, mais qui sait ce qu'elle préparait avec les autres ... des plans bolcheviques ?"

Et puis il y a cette scène finale qui semble faire polémique ...

On voit Rudolph Höss descendre les escaliers de son bureau et soudain, il est soulevé par des haut-le-cœur, essaie de vomir, mais rien ne vient. Et puis tout d'un coup, son regard se porte vers le couloir plongé dans le noir. L'action se coupe alors net et on se retrouve à notre époque moderne, au musée d'Auschwitz, juste avant que le lieu ne soit ouvert aux visiteurs. Pour moi, c'est la réalité de la shoah qui vient se rappeler à Rudolph Höss, alors que pendant tous le film, il se montre totalement indifférent à ce qui se passe de l'autre côté de la clôture. C'est aussi un rappel pour nous spectateurs, la conséquence de ce qu'il se passait hors champs pendant toute la durée du film. La réalité revient dans le champs de la caméra, dans celui du spectateur et dans celui de Rudolph Höss.

Bref, La Zone d’intérêt est une franche réussite. Le concept du hors-champ est tenu sur toute la durée du film et on peut dire que c'est un véritable tour de force de la part de Jonathan Glazer.

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le 1 mars 2024

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lessthantod

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