« Quo Vadis, Aïda ? », une page douloureuse de l’histoire

Quo Vadis, Aïda ?, c’est un coup de poing, un coup de poing tel qu’il se ressent encore après l’impact. Il rappelle, avec un réalisme glaçant, les événements tragiques qui eurent lieu à Srebrenica en juillet 1995. 25 ans après, retour dans l’enfer de la guerre de Bosnie-Herzégovine.


Le rideau s’ouvre sur les regards vides d’une famille bosniaque musulmane. Ils se regardent en chiens de faïence, sur un fond de bombardements. Cette famille, c’est la famille d’Aïda. Elle est usée par cette guerre qui déchire les Balkans, qui dure et qui n’en finit pas. Son mari est, en temps normal, proviseur du lycée de Srebrenica et ses deux fils devraient profiter de l’insouciance de leur jeunesse. Aïda est, elle, professeur d’anglais en temps de paix, interprète pour les casques bleus en temps de guerre.


En juillet 1995, Srebrenica, ville bosniaque proche de la frontière serbe actuelle, est zone sûre déclarée par l’ONU. Cela ne l’empêche pas d’être victime d’offensives serbes répétées. Ratko Mladić, général serbe surnommé par la suite “le boucher des Balkans”, se rapproche, inexorablement. Les casques bleus en garnison non loin de la ville ont averti et menacé le général serbe, mais rien n’y fait : la diplomatie de l’ONU semble impuissante. Les habitants de Srebrenica doivent se résoudre à fuir leur ville et à se réfugier auprès des casques bleus. Des milliers de civils bosniaques se retrouvent ainsi entassés à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur du camp de l’ONU, à la merci des forces ennemies.


Dans ce camp improvisé, Aïda est devenue, par la force des choses, l’interprète des casques bleus néerlandais. Elle prend part aux discussions et décisions. Elle comprend vite que les siens ne seront pas éternellement à l’abri ici et que le pire est à venir, inévitable. Que peut-on faire quand le reste du monde vous a oublié ? Comment peut-on sauver les siens d’une fin certaine ? Très vite, elle n’aura plus que son désespoir comme seule force.


La puissance de ce film est incontestablement dans son réalisme. Entre l’absurdité de la guerre, l’impuissance de la diplomatie et le triomphe de l’égoïsme, le spectateur est à peine ménagé. La brutalité humaine le frappe de plein fouet. Il est difficile de rester indifférent face à ces injustices, qui plus est quand elles sont inspirées de faits réels. Parce qu’il est troublé, le spectateur ressent que ce sujet, la guerre de Bosnie, est profond et intime pour la réalisatrice, Jasmila Žbanić. Elle avait déjà traité ce sujet délicat dans son film emblématique, Sarajevo, mon amour (2006). Son regard personnel sur les évènements est appuyé par les performances sobres, sincères et puissantes des acteurs.


Quo vadis, Aïda ? fait office, 25 ans après, de devoir de mémoire. Pour les plus âgés, il s’agit de se souvenir ; pour les plus jeunes, il s’agit d’apprendre, de découvrir, cette page douloureuse de l’histoire. Sortir de ce film, c’est comme se réveiller d’un mauvais cauchemar. Impossible de ne pas trembler soi-même, impossible d’en sortir indemne.


Critique pour le Suricate Magazine : https://www.lesuricate.org/quo-vadis-aida-une-page-douloureuse-de-lhistoire/.

Hedwig
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le 9 sept. 2021

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