Une scène, cocasse à plusieurs titres, résume assez bien l’esprit de la Vanité, le nouveau film du suisse Lionel Baier, qui nous a servi dans un passé très récent une comédie assez loufoque avec ses Grandes Ondes (à l’Ouest). Vers la fin du film, Konstantin Treplev, l’un des personnages au doux patronyme tchékovien (éclatant premier rôle pour l’helvéto-bulgare Ivan Georgiev), est un prostitué qui reçoit à grand bruit ses clients dans l’une ou l’autre des chambres de ce motel proche de Lausanne, un jeune russe friand de métaphores approximatives (il est doux comme un mouton, vous êtes en train de vous vider comme une oie,…). Sans doute pour tuer le temps entre deux rendez-vous, il a appris à connaître par cœur les mauvaises copies des tableaux accrochés au mur : ici, les Ambassadeurs de Hans Holbein. Accroupi par terre derrière David Miller, le personnage principal, il montre à ce dernier le mystère de « la vanité » en anamorphose cachée dans le tableau. La position, les dialogues, les circonstances dans lesquelles se déroule la scène, tout est drôle. Du non-sens distillé à petites doses toutefois, et qui prend presque à chaque fois le spectateur comme par surprise.


Car le film commence de manière assez grave. David Miller donc (Patrick Lapp, parfait dans ce rôle d’un personnage pince-sans-rire et flegmatique), un élégant senior que l’on découvre à la réception d’un motel miteux bâti dans les années 70, sur le modèle des constructions de la Route 66. David et sa femme défunte, architectes tous les deux, ont construit ce motel où, très vite, des indices nous montrent que David est revenu pour participer une « procédure » de suicide assisté : rasé de près, propre comme un billet neuf aurait dit son jeune voisin, David jette tout à la poubelle : produits de toilette, rasoir, brosse à dents…Un terrible voyage sans retour prend forme sous nos yeux. David attend Espe(ranza), une senior elle aussi, interprétée avec beaucoup de sensibilité par Carmen Maura. C’est elle qui sera à la manœuvre si on ose dire, assistée de Treplev, enrôlé presque de force comme témoin, une obligation légale dans cette mort programmée. Rien évidemment ne se passera comme prévu.


Le dispositif de la Vanité est à l’opposé de celui des grandes Ondes : les 3 acteurs sont enfermés dans une chambre pendant presque toute la durée du film, dans une mise en scène assez théâtralisée ; alors que dans son précédent film, les protagonistes prenaient la route à bord d’une pittoresque combi VW jusqu’au Portugal. Le réalisateur opte pour un traitement plus ramassé, sans jamais étouffer ni son film, ni ses personnages, ni par conséquent ses spectateurs. Le rire qu’il provoque, essentiellement par son sens aigu des dialogues, efface cette sensation de huis-clos qui aurait pu s’installer, d’autant plus que ce huis-clos est ponctué de petites respirations (des « pauses clope » dans la neige, source de petites saynètes supplémentaires), permettant même un caméo de Lionel Baier, qui apparaît brièvement comme l’un des clients de Treplev.


Le choix de suivre ces 3 personnages est une bonne idée de la part du cinéaste : il apporte trois fois plus de sel à l’histoire, en la parsemant de petites bribes de leurs propres vies, de petites touches légères, des confidences qui caractérisent les protagonistes sans jamais alourdir l’ensemble.


Même si la Vanité est assez prévisible, avec des ficelles assez voyantes, le traitement de Lionel Baier en fait un film très plaisant à regarder, plein de références amusantes : Tchékov et sa Mouette, Hitchcock et sa douche... Une vraie émotion circule entre les trois personnages, puis par ricochet vers le spectateur. Aucun sentimentalisme cependant dans la Vanité, seulement l’humanité au travers de son instinct de survie, de son instinct grégaire, de son trop-plein d’amour qui ne demande qu’à se fixer à gauche et à droite. Un film qui réussit à faire oublier la maladie de david Muller pour ne laisser apparaître que leur contentement d’être ensemble et d’être en vie. Une anti-vanité, en quelque sorte.


Vous trouverez la critique sur CineSeries Mag.fr

Bea_Dls
8
Écrit par

Créée

le 14 sept. 2015

Critique lue 479 fois

1 j'aime

Bea Dls

Écrit par

Critique lue 479 fois

1

D'autres avis sur La Vanité

La Vanité
Fritz_Langueur
9

L'inquiétude est toujours vanité

Rien dans la bande-annonce ne laissait présager une telle dextérité d’esprit ! « La vanité » sorti en catimini, ou presque, se révèle être un excellent film sur un thème difficile, l’aide au suicide...

le 12 sept. 2015

5 j'aime

5

La Vanité
ffred
9

Critique de La Vanité par ffred

Après les excellents Comme des voleurs (à l'est) et Les grandes ondes (à l'ouest), le suisse Lionel Baier nous offre aujourd'hui une comédie aussi grinçante que réjouissante. C'est caustique, noir...

le 18 sept. 2015

1 j'aime

La Vanité
Bea_Dls
8

La vie et rien d'autre

Une scène, cocasse à plusieurs titres, résume assez bien l’esprit de la Vanité, le nouveau film du suisse Lionel Baier, qui nous a servi dans un passé très récent une comédie assez loufoque avec ses...

le 14 sept. 2015

1 j'aime

Du même critique

Les Poings contre les murs
Bea_Dls
9

Punch drunk Love

Ben ouais, notre héros abruti de violence s'appelle Love, ce qui ne doit pas être un hasard... Mais revenons à nos moutons, ou plutôt nos brebis...galeuses. Le film, bizarrement appelé les poings...

le 6 juin 2014

35 j'aime

5

Irréprochable
Bea_Dls
9

Les Racines du Mal

Au fur et à mesure que le film avance, Constance (Marina Foïs), l’héroïne d’Irréprochable, héroïne si on peut dire, semble gagner dans sa chevelure blonde (« tu t’es prise pour Catherine...

le 12 juil. 2016

28 j'aime

2

Toni Erdmann
Bea_Dls
5

Critique de Toni Erdmann par Bea Dls

La première scène de Toni Erdmann donne le ton du film : des blagues insondables tellement c'est lourd, une mise en scène inexistante, un acteur qui cabotine à fond. Comme on en a vu d'autres, des...

le 20 août 2016

23 j'aime

1