La Troisième guerre est moins un film de guerre qu’un film en guerre, engagé tout entier dans la représentation d’une menace invisible et pourtant omniprésente, celle d’un risque permanent d’attaques terroristes sur le sol français ; aussi les personnages qu’il met en scène s’avèrent-ils tiraillés entre une nature terrestre, symbolisée par la camaraderie et les chamailleries dans les différents lieux de sociabilité des militaires (cantine, dortoirs, terrains d’entraînements), et une nature immatérielle, aussi vaporeuse que les relations humaines contemporaines.


Une même idée de plan est répétée plusieurs fois : la caméra filme Léo dans son élément pour progressivement le détacher, rendre le fond flou, et le montrer la tête tournée vers le ciel, dans un double mouvement de surveillance et d’interrogation. Le personnage se voit en effet confronté à une disparition du lien social véritable, puisque sa famille gît dans une maison insalubre à la manière de spectres, puisque ses aventures amoureuses restent sans lendemain et ne subsistent qu’à l’état de photographie – au second réveil, la femme a disparu –, puisqu’il ne se raccorde aux sentiments que par le biais d’un téléphone portable récupéré après une interpellation.


Giovanni Aloï montre un microcosme militaire marginalisé dans ses rapports avec l’extérieur, victime en cela des discours haineux qui circulent sur les réseaux sociaux et que véhiculent les médias, ainsi que dans son fonctionnement interne, la notion de hiérarchie légitimant humiliations et découragements. Les protagonistes apprennent paradoxalement la solitude au contact les uns des autres : la communication verbale se cantonne à des formules d’usage – faites de mots-balises comme « intervention » ou « chelou » – qui échouent à mettre en mots un réel toujours plus fuyant et désincarné. L’uniforme uniformise, tue la pensée au profit d’une réaction primaire, construit des fantômes entre la vie et la mort qui errent dans un Paris coupé de son Histoire (la zone de Bercy, dédale de rues grises, sans âme) et sortent des fumigènes tels des revenants.


Le réalisateur insiste également sur la répartition des rôles au sein des forces d’intervention, l’armée ne devant pas empiéter sur les attributions de la police et de la gendarmerie ; ce choc des responsabilités renforce le sentiment d’abandon de notre trio de militaire qu’interprètent trois acteurs impressionnants. Leur mission, comme le rappelle Léo, est de gérer non pas le désordre mais l’ordre ; elle fait d’eux des mages qui avancent guidés par leur radio et questionnent par leur regard l’ordre de la société française et des citoyens qui l’animent, un ordre des choses qui atrophie la bonté et l’innocence au profit d’une surveillance de chacun et de chaque instant.


La Troisième guerre restitue à merveille l’atmosphère de paranoïa qui définit, plus que notre pays, le monde occidental dans lequel nous vivons. Un des grands films de l’année 2021.

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le 25 sept. 2021

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