La Tragédie de la mine est un de ces films qui a le potentiel de laisser une trace indélébile dans notre expérience de spectateur, celui qui aligne suffisamment d’éléments pour profondément se détacher parmi les images de cinéma que nous avons intégré. Réalisé en 1931 par l'autrichien Georg Wilhelm Pabst, ce film est à mon sens injustement méconnu. Campé au beau milieu de sa carrière entre son éclosion au plus haut dans le muet des années 1920 (La Rue sans joie) et des films à jamais marqués par la dénonciation du nazisme (Le Procès), la Tragédie de la mine traduit avant tout un profond désir humaniste. Le film utilise la catastrophe de Courrières survenue 25 ans plus tôt causant la mort de près de 1200 mineurs français dans un coup de grisou pour réactualiser l’union des travailleurs face aux exigences d’une civilisation industrielle en pleine explosion incontrôlée. Le sauvetage entrepris par les allemands est mis à l’honneur pour penser les plaies de la première guerre mondiale et dans le but de réconcilier les peuples pour combattre le fascisme (rien que ça). On connaît la suite.
En un sens, Pabst a échoué dans sa quête la plus profonde, empêcher la montée des extrêmes, une quête qui dépasse largement le cadre cinématographique. Pourtant, il m’est très cher de souligner ici que son objet filmique possède un éclat intemporel hors du commun pour un film antimilitariste.
Avant d’élargir sur les intentions de fond, il me semble important de présenter le cadre esthétique et narratif du film qui a lui seul permet de rendre sa courte durée d'autant plus dense. De par le sujet traité, le film est par nature binational. Il développe des personnages allemands et français en parallèle qui se croiseront à mesure que le récit avance. Pour garder une vraie force d’authenticité, les personnages parlent dans leur langue d’origine en permettant tout de même au spectateur français ou allemand de suivre les actions par contextualisation. En bref, l’héritage du muet encore tout proche aidant, l’écriture très visuelle (par le jeu, les accessoires et les décors notamment) permet de saisir l’essentiel du récit. Et c’est justement là que le film gagne en puissance, cette écriture très visuelle témoigne de manière très précise des pauvres conditions de vie des mineurs. Cette approche sociale presque documentaire est traduite dans la forme par une absence de musique extra diégétique au profit d'une multitude de bruitages et d’intentions sonores avisées.


Mention spéciale aux coups portés sur la tuyauterie pour indiquer sa présence aux sauveteurs.


Ceci étant d'autant plus impressionnant quand on réalise que le sonore n’existe alors que depuis quelques années. Cette remarquable maîtrise technique s’opère également à l’image où le réalisateur ne s'est pas privé d'utiliser toutes ses cartes à dispositions. A l'instar de l'affiche allemande et du propos du film, Pabst joue en permanence sur la notion de contraste pour nourrir un conflit dramatique malgré l'absence d'antagoniste physique dans le film.
Les différents décors industriels miniers s'offrent de manière évidente comme premier outil de contraste. Les cités minières massives se détachent par leur verticalité et gigantisme mais demeurent des lieux de vie spacieux, vivants et même accueillants (loin de l'image de Germinal par exemple). Cela pour mieux s'opposer aux galeries minières sombres et claustrophobiques où se déroule l'accident. Après avoir posé ce cadre réaliste, Pabst utilise habilement le travelling et l'éclairage très artificiel (et oui les mines ça devrait être l'obscurité totale surtout après un accident!) pour mieux se pencher vers des imageries fantastiques sublimes. Une vraie tension se dégage de ces souterrains ou les éboulements menacent en permanence les sauveteurs et les rescapés.


La scène où le mineur français confond son sauveteur allemand avec un soldat ennemi de la grande guerre est symptomatique de ce sauvetage improbable et aussi héroïque qu'halluciné qui use du fantastique.


Malgré le grand nombre de personnages, il est relativement simple de suivre les objectifs de chacun qui permettent de retracer les événements du sauvetage sous des angles différents, que ce soit du point de vue des mineurs, des familles ou des officiels, le récit est fluide est attachant car chaque personnage respire une humanité qui lui est propre. Le film ne se prive pas d'intégrer des personnages définis par leurs émotions (amour inconditionnel, humour, fidélité). Ces personnages convergent finalement vers le même objectif humaniste qui est l’union des travailleurs et où le seul antagoniste demeure la folie productive qui provoque des négligences et donc de potentielles menaces comme les accidents miniers. Accidents par ailleurs toujours d’actualité de nos jours en Chine ou en Amérique du sud où les morts sont fréquentes. Donc avant d’être un film anti-militariste, La Tragédie de la Mine manifeste simplement une absence intrinsèque d’opposition humaine directe mais dénonce un système industriel débridé et dangereux qui dépasse le contrôle humain. Ce qui mène concrètement aux conflits armés, conséquence beaucoup plus direct et facile à concevoir pour le public de l'époque. Qu’importe le côté de la frontière, les travailleurs cherchent simplement le bien être de leurs proches et plus largement de leurs semblables esclaves de la même machine productiviste. Il n’y a aucun visage sur l’adversité simplement des préconçus et des protocoles absurdes dont la thématique de la frontière est un élément symbolique mais aussi très concret dans le film que les personnages traversent à de nombreuses reprises.


La scène finale de l’échange de contrats sur le rétablissement des frontières à des centaines de mètres sous terre est particulièrement significative de cette absurdité.


C’est peut être là la seule faiblesse formelle du film, de ne pas proposer de conflits internes et d’ambiguïté à sa philosophie, chose beaucoup plus fréquente aujourd’hui, où sans cela, on tombe rapidement dans le ravin de la naïveté ou de la propagande.
Même si ce film aussi convaincu de lui-même aura finalement échoué à atteindre ses nobles mais bien trop hautes ambitions, il aura proposé une vision pure, honnête et aussi somptueuse de son sujet. Heureusement, il en reste toujours aussi appréciable et après bientôt 90 ans, toujours aussi actuel.

MaxVH
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le 20 févr. 2020

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