Deux portraits de personnages diamétralement opposés : d'un côté Gelsomina, ingénue candide, qui ne connait rien du monde et qui n'a, pour elle, pas grand chose si ce n'est une sensibilité parfois désarmante et une curiosité à toute épreuve. De l'autre Zampano, homme rustre et violent, à l'égo éléphantesque, amateur de femmes et de bon vin. Ensemble, sur une moto-caravane, ils sillonnent l'Italie, donnant des petits spectacles dont Zampano est l'auteur, le héros, et Gelsomina l'assistante, la faire-valoir. À force d'interactions, une relation insolite, conflictuelle, se tisse entre les deux.
Ce qui aurait pu donner un film léger, drôle de par les caractères antithétiques des personnages, aboutit finalement sur quelque chose de bien plus sombre. Gelsomina, en côtoyant le monde, sera en quelque sorte broyée par celui-ci. Ce dernier semble trop cruel pour elle, et même l'image de son enfance, sur la plage de sa jeunesse, s'en retrouvera souillée, au point qu'elle n'ait plus d'échappatoire. Zampano, lui, finira par subir un sort similaire, d'inadéquation au monde, sa brutalité se transformant en fardeau, finissant dégouté de lui-même. C'est un programme similaire à ce que j'ai pu retrouver dans le grand classique de Fellini, La Dolce Vita. Cette idée de pureté défigurée, dont sont victimes des personnages auquel il est difficile de ne pas s'attacher.
La Strada est donc un film sombre, sensible, qui s'interroge sur des personnages extrêmes, à la perpendiculaire de la société. Étranges et drôles, ils sont le point d'ancrage d'un discours passionnant sur le rapport que chacun d'entre nous peut avoir avec le monde. Son effet est ainsi durable, ce n'est pas qu'un plaisir instantané, c'est un véritable puits d'idées et de réflexions qui nous animent tous tôt ou tard.