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C'est vraiment l'appel de l'exotisme qui pour la première fois m'a conduit jusqu'à Ratu Ilmu Hitam ou La Reine de la Magie Noire de Kimo Stanboel . Il faut dire que les films d'horreur indonésiens sont plutôt rares et qu'il est toujours bon de se confronter à des univers nouveaux surtout lorsque certains finissent par furieusement tournés en rond. La Reine de la Magie Noire, scénarisé par Joko Anwar (Modus Anomali), est le remake d'un film éponyme sorti en 1981 avec la star locale des scream queen de l'époque Suzzanna.


Le film nous raconte l'histoire de trois amis qui ont grandis dans le même orphelinat et qui y reviennent avec femmes et enfants pour saluer une dernière fois le brave et bon monsieur Bandi, le directeur des lieux qui est mourant. Une fois sur place le lourd passé du lieu refait surface et plonge tout ce petit monde dans un long cauchemar.


La Reine de la Magie Noire débute par une assez longue exposition qui occupe bien le premier tiers du film , mais avec une douzaine de personnages à présenter, une exposition du lieu et des enjeux il n'en fallait sans doute pas moins. Ensuite le film va partir pour un long cauchemar dans un crescendo horrifique qui nous conduira jusqu'aux limites de l'enfer. La première chose qui frappe et qui fait bien plaisir en regardant le film de Kimo Stanboel c'est son impassible premier degrés qui fait que jamais le réalisateur et son scénariste ne vont jouer à mettre des coups de coudes aux spectateurs avec des références au cinéma de genre, pas plus qu'ils ne chercheront à désamorcer l'horreur avec des respirations humoristiques ou faire pencher leur récit vers une réflexion méta avec des personnages qui nous sortent d'un coup qu'ils ont l'impression d'être comme dans un film d'horreur. Rien de tout cet artifice bien trop commun a de nombreux films d'horreur contemporains, juste un récit carré et efficace dans lequel l'horreur n'est que souffrance, angoisse et désespoir. Car l'autre gros point positif du film c'est que un peu à la manière du cinéma horrifique et fantastique espagnol, La Reine de la Magie Noire inscrit l'élément fantastique comme le résultat et le cœur d'un drame profondément humain, le film fonctionne même dans une mécanique de poupée gigogne avec plusieurs révélations de secrets de plus en plus sombres et dégueulasses. Du coup l'horreur est autant psychologique que physique et surtout elle n'est jamais fun car elle n'est que douleurs et souffrances pour les personnages comme pour les spectateurs. Si le film n'étale pas son inspiration à grand coup de citations complices on pourra en revanche en tant que spectateur y projeter de nombreuses références qui nous sont propres car le film jongle et avance dans un parfait équilibre entre différentes thématiques du cinéma d'horreur qui vont du film de maison hantée au torture porn en passant par le film de possession, le body horror ou le film de fantôme. On pensera bien sûr au Evil Dead de Sam Rami avec cette entité qui prend possession des corps pour leur faire faire des choses horribles, au cinéma d'horreur asiatique avec cette terrifiante séquence de la télévision digne du meilleur de Hideo Nakata, Lucio Fulci pour quelques visions infernales et comme déjà cité plus haut l'aspect mélancolique et dramatique du cinéma fantastique espagnol à la Jaume Balaguero. Des influences toutes parfaitement digérées pour venir s'inscrire dans la tonalité globale et sombre du film ainsi si je cites Evil Dead il faut savoir que dans La Reine de la Magie Noire lorsque la main d'un personnage est possédée ce n'est pas pour faire des doigts d'honneur ou lui mettre un finger in the nose mais pour attraper une agrafeuse à percutions et lui fermer douloureusement la bouche.


La Reine de la Magie Noire est un pur film d'horreur de ceux qui vous font vous interroger sur la notion même de l'expression du film agréable à regarder car honnêtement dans le cas présent ça gratte, ça révulse, ça égratigne et ça fait souvent mal. Sales bestioles qui vous courent sur la peau et s'introduisent dans votre corps (saloperies de scolopendres), chairs découpées au couteau ou arrachées avec les ongles, corps déformés et brisés comme des pantins désarticulés, œil éjecté de son orbite, pluie acide … tout ce qui est visible à l'écran provoque psychologiquement une forte représentation de la douleur physique. Le tout est accompagné d'un sound design assez remarquable (Arghhh ce putain de bruit métallique de l’agrafeuse sur les dents) qui culminera lors d'un final stressant et énervant ou tout ne semble plus être que hurlements, cris de douleurs et appels désespérés à sortir de l'enfer. A noter également la très bonne et stressante bande originale du film signée par Yudhi Arfani et Fajar Yuskemal (Gangs of LondonThe Raid 2) avec d'entêtantes boucles mélodiques dont une ponctuée par un inquiétant bruit de sirène à la Silent Hill. La Reine de la Magie Noire est donc une formidable surprise qui ne souffre que de quelques défauts mineurs comme certains effets numériques un peu cheapos et trop visibles, une scène finale un peu bateau et quelques personnages sans grande utilité à l'histoire. Rien de préjudiciable pour un film à la photographie soignée, à la mise en scène efficace et à l'interprétation plus que solide. En bonus le générique de fin qui fait défiler des images du film originel de 1981 donne furieusement envie de le découvrir et il est rare de voir des remakes tendre un pont si solide avec le passé.


La Reine de la Magie Noire est donc une très chouette surprise qui outre son exotisme propose un bon film d'horreur débarrassé des nombreuses scories qui parasitent bien trop de films de genre de notre époque comme les discours méta, le catalogue de références, les jump scares désincarnés à répétition ou le second degré un peu forcé.


PS : Je ne sais pas qui a pondu le résumé Sens critique du film mais il faut arrêter la drogue.


freddyK
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le 13 juil. 2023

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Freddy K

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