De même que le récent l’Apparition de Xavier Giannoli n’est pas vraiment un film sur la religion, ou pas que, La Prière, le nouveau film de Cédric Kahn, malgré un titre encore plus enfermant, ne saurait pas non plus être cantonné à cela : un film sur la prière. Situé dans les mêmes magnifiques paysages de montagne que ceux de Roberto Succo, un des films les plus intéressants du cinéaste, il est plutôt une réflexion sur la construction ou la reconstruction d’un homme.


Thomas (excellent Anthony Bajon), est un jeune toxicomane qui rejoint une communauté de frères catholiques après une overdose qui a failli lui être fatale. On le découvre dans la voiture qui l’y conduit, les yeux meurtris et rivés au sol, ou lançant brièvement des éclairs d’hostilité au conducteur, le curé qui l’a ramassé dans la rue. Un trajet en voiture qui en précèdera plusieurs autres comme un gimmick, dans différentes situations le surprenant toujours de profil, dubitatif ou très motivé aux croisées des chemins, morose ou en joie selon l’occasion.


On découvre presque à la manière d’un documentaire la vie dans cette communauté, faite de prière, d’efforts physiques, et de…prière. Le début du film est très impressionnant, grâce en très grande partie à une prestation impeccable du nouvel arrivant Anthony Bajon, une prestation qui lui vaudra d’ailleurs l’Ours d’Argent du meilleur acteur à la Berlinale : la révolte de son corps d’abord par rapport au manque, une scène empreinte de réalisme, et dominée par l’empathie de ses compagnons à son chevet, d’autres « tox » évidemment passés par là ; puis la révolte de son esprit par rapport à cette institution qui lui semble quasi-sectaire avec son trop de règles, son trop d’efforts, son trop peu d’intimité, mais également son trop de gentillesse, son trop de sollicitude, et peut-être aussi son trop de prière. Car la thérapie offerte par la « maison », c’est la prière à marche forcée, sans temps mort, les lectures pieuses entrecoupées de chants pieux, les demandes de miséricorde divine succédant aux séances d’excuses publiques. Anthony Bajon jette toutes les forces de son jeu dans des scènes incroyables d’authenticité, de vigueur, de violence. Des préambules qui permettent à Cédric Kahn de situer le contexte sans parti pris ni jugement.


Mais lorsque, quelque part au milieu du film, nous voyons Thomas et Pierre (Damien Chapelle), son binôme, ou son « ange gardien » dans le langage de la communauté, s’acharner à creuser un énorme trou, pour mieux le reboucher aussitôt, on ne peut s’empêcher de se questionner sur la pertinence de ladite thérapie. L’effort physique pour engourdir le corps, la prière pour étourdir l’esprit, le remplacement d’une addiction par d’autres socialement acceptables : est-ce là le sens de ce qui se passe là-haut dans la montagne, ou au contraire ces nouvelles « occupations » ne sont-elles pas des objectifs en soi ? Peut-on apprendre la prière et apprivoiser la foi comme n’importe quelle discipline scolaire ? Jusqu’où peut-on se mentir à soi-même ? Toutes ces questions traversent l’esprit du spectateur sans le plomber, sans faire de La Prière un film à thèses, tant le rythme du film est soutenu, la direction d’acteurs très précise, et même si la mise en scène est toujours aussi âpre que dans les autres films du cinéaste, avec toujours ce sentiment d’urgence en filigrane (comme dans Roberto Succo, Une Vie meilleure, les Regrets et comme avec tous ces personnages complexes, brûlants et passionnés).


Malgré une épiphanie plus ou moins miraculeuse que le jeune Thomas expérimente dans les cimes, dans des séquences qui font la part belle à la majesté des Alpes, La Prière est moins un film mystique qu’une œuvre avec une vraie dimension sociale, où on assiste à la reconstruction des jeunes en souffrance si ce n’est en errance, par la lente mais solide émergence de l’amitié, de l’amour, de l’altruisme, mais également du doute, toutes choses enfouies durant des années sous des grammes d’opiacées ou des litres d’alcool. La prière évoquée dans le titre semble alors être un catalyseur, qu’elle soit sincère ou qu’elle soit une béquille utilisée de manière roublarde pour essayer d’avancer tant bien que mal. Les scènes fortes que le cinéaste a imaginées, celle où Thomas par exemple se retrouve avec la Mère Supérieure de l’institution comme s’il était devant son thérapeute, celle de la blessure miraculeusement guérie au sommet de la montagne, et surtout celle de fin, toutes contribuent à illustrer brillamment l’articulation de la prière dans le cheminement de Thomas et de ses compagnons.


Cédric Kahn est un cinéaste exigeant qui gratte jusqu’à l’os la substance de son matériau pour livrer dans un écrin non dénué d’esthétique des films secs, sans fioritures, permettant au spectateur de se plonger intensément dans les histoires qu’il propose. Les résultats ne sont pas toujours à la hauteur de son ambition, mais La Prière est une très bonne surprise qui fait partie du haut de son panier.


Retrouvez aussi cette critique sur notre site cineseries-mag.fr

Bea_Dls
8
Écrit par

Créée

le 26 mars 2018

Critique lue 649 fois

3 j'aime

1 commentaire

Bea Dls

Écrit par

Critique lue 649 fois

3
1

D'autres avis sur La Prière

La Prière
Fatpooper
5

Prie, je ne t'écoute pas

Bof, assez moyen. Ça aurait pu être chouette, mais l'auteur décide de ne pas développer ses personnages ni même ses situations. Le personnage débarque, il a du mal au début, on ressent les conflits,...

le 1 sept. 2018

16 j'aime

2

La Prière
seb2046
7

Tête haute vers la Lumière...

LA PRIÈRE (14,4) (Cedric Kahn, FRA, 2018, 107min) : Sensible et sincère portrait d'un jeune homme de 22 ans toxicomane, qui va retrouver foi en la vie auprès d'une communauté religieuse isolée dans...

le 20 mars 2018

15 j'aime

10

La Prière
Voracinéphile
7

Apaisement

La prière a l'excellent postulat de ne pas miser sur la délivrance d'un message mental (religieux), mais sur la ténacité et les choix rencontrés par les personnages, ainsi que par une émotion brute...

le 15 août 2018

5 j'aime

14

Du même critique

Les Poings contre les murs
Bea_Dls
9

Punch drunk Love

Ben ouais, notre héros abruti de violence s'appelle Love, ce qui ne doit pas être un hasard... Mais revenons à nos moutons, ou plutôt nos brebis...galeuses. Le film, bizarrement appelé les poings...

le 6 juin 2014

35 j'aime

5

Irréprochable
Bea_Dls
9

Les Racines du Mal

Au fur et à mesure que le film avance, Constance (Marina Foïs), l’héroïne d’Irréprochable, héroïne si on peut dire, semble gagner dans sa chevelure blonde (« tu t’es prise pour Catherine...

le 12 juil. 2016

28 j'aime

2

Toni Erdmann
Bea_Dls
5

Critique de Toni Erdmann par Bea Dls

La première scène de Toni Erdmann donne le ton du film : des blagues insondables tellement c'est lourd, une mise en scène inexistante, un acteur qui cabotine à fond. Comme on en a vu d'autres, des...

le 20 août 2016

22 j'aime

1