L’écrivain voyageur Sylvain Tesson accompagne le photographe animalier Vincent Munier aux confins du Tibet. Avec l’espoir d’y apercevoir la panthère des neiges.
Le film s’ouvre sur deux sherpas inquiets. Au loin, les explorateurs français sont en train de disparaître et semblent ne pas vouloir rentrer avant la nuit. Nous spectateurs, via la caméra, découvrons ainsi des personnages épiant d’autres individus à l’affût d’un être qui les guettera à son tour. Échange multiple de points de vue, mise en abyme vertigineuse. Car dans ce sanctuaire inhospitalier et grandiose, c’est l’animal qui règne en maître. L’homme n’est qu’un intrus observé avec curiosité, méfiance et inquiétude.
Comme dans les images d’Épinal, il y a un plaisir ludique à scruter en ces paysages uniques les cornes, les queues, les yeux qui s’y dissimulent. Un simple clignement et c’est l’objet du désir qui s’évanouit. Sur les crêtes en contre-jour, les hordes avançant deviennent ponctuation et forment une écriture à laquelle l’auteur et toute âme poétique ne peuvent résister. L’approche n’est pas purement admirative et révèle aussi l’aspect cruel de cette grande beauté dans une saisissante scène vue du ciel illustrant l’attaque d’une meute de loups blancs contre un troupeau noir de yacks. Afin de calmer leurs appétits, un ruminant adulte encorne dans sa précipitation l’un des jeunes siens pour l’offrir en sacrifice aux crocs des prédateurs.
Dans ces conditions extrêmes, Vincent Munier se délecte de ce retour à l’instinct primaire, humant tel un ursidé les portes des cavernes. Sylvain Tesson, le baroudeur confirmé, a plus de mal à dompter l’immobilisme et le grand froid. Il faut une « sacrée vie intérieure » pour supporter l’expérience. Il y a du Vladimir et de l’Estragon dans ce duo quasi comique qui attire parfois plus l’attention de la réalisatrice que la reine des neiges qu’ils attendent avec excitation ou fatalisme. De quoi philosopher sur l’envie du « tout, tout de suite » opposée au « sûrement rien sur la longueur ». La patience est une affaire de souffrance et de volonté. Et si le vide marque le bout du chemin, c’est peut-être parce que l’on n’a pas su regarder.
(8/10)
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