La Nuit d'Orion
5.7
La Nuit d'Orion

Long-métrage d'animation de Sean Charmatz (2024)

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N'avons-nous vraiment plus peur de rien ?

J'ai peur du jour où je n'aurais plus peur.

Cette citations vient du couple Martine et Philippe Delerm (de ce que j'ai compris cette phrase proviendrait plus de Martine, même si selon certains Philippe aurait rédigé les textes d'après les dessins de Martine, mais je n'ai pas les éléments pour confirmer) dans un recueil philosophique sur les sentiments et les souvenirs, d'une trentaine de pages seulement, dont cette simple phrase (accompagné d'une illustration) tient sur tout une page à elle toute seul. C'est assez marrant de voir comment de petites citations comme celle-ci peuvent être tout aussi (voire plus) efficace que de grands discours. On pourrait penser que j'ai retiré cette phrase de son contexte, mais avec le recul, on peut très vite se rendre compte que cette phrase n'en a pas besoin. En quelques mots, on peut disserter sur tellement de concept, que ce soit la peur de la mort, la peur de grandir, l'importance de l'ignorance pour le développement personnel d'un imaginaire... tant de concept que des films ont tentés de développer sur plus d'une heure. Ce sont des concepts qui me passionnent, qui m'ont permis de trouver des films extraordinaires, d'autres beaucoup moins, mais sont surtout devenu des évidences dans les thématiques de films jeunesses. La chose étant que la peur est une composante essentiel à tout apprentissage, et que cela a irriguer la quasi totalité des contes initiatiques, eux même le terreau fertile d'une bonne parti (pour ne pas dire la quasi totalité) des films s'adressant aux enfants. Récemment, le studio DreamWorks s'est révélé comme étant une référence dans le traitement de ces thématiques (même s'il l'était déjà à la toute base, mais bref, il n'est jamais trop tard pour comprendre les intentions d'un studio). On a appris collectivement à redécouvrir le studio à travers les doutes en interne, dû au bide des films qui sont sorti durant le renouveau Disney (entamé avec Raiponce), qui ont amené des thématiques nouvelles aux films sorti après la pandémie (après Croods 2 et Trolls 2 World Tour). Il est maintenant question de retrouver une identité perdu, à la manière des Bad Guys, du Chat Potté, ou même de Branche dans le 3e volet de la saga Trolls. Cependant, cette redécouverte ne s'est pas fait sans casse, à l'image de Ruby Gillman, qui (outre sa qualité vraiment pas dingue) n'a pas su trouver son public, et n'a fait que diviser le public qui s'attendait à retrouver la subversion du Chat Potté 2 qui a marqué toute l'année 2022. L'attente était alors grande quant à un film qui, dans son concept même, allait traiter de la peur de manière frontal. Paradoxalement, mon regard s'est porté d'avantage sur le 4e volet de la saga Kung Fu Panda (saga que je n'ai pourtant pas vu en entier et dont le premier volet ne m'a pas convaincu), à un point où je n'ai même pas remarqué la sortie d'Orion and the dark (La nuit d'Orion en français). Si le film me rebutait d'apparence, j'avais quand même hâte d'être agréablement surpris par une nouvelle création DreamWorks, surtout si celle-ci promet d'être un film où la philosophie allait être plus assumée.


Dans ces 20 premières minutes, le film arrive à atteindre son objectif. La dichotomie entre Orion et dark est efficace et maligne, tout en subtilité, et même si la ficelle parait déjà assez grosse, le film fonctionne. D'un côté, nous avons Orion, jeune enfant trop ravagé par le monde extérieur et la modernité (dû au fait qu'il a des peurs sur des choses beaucoup trop rationnels et réfléchit) qui va devoir apprendre à se reconnecter à une forme de fantaisie. D'autre, nous avons Dark, l'incarnation de l'obscurité, qui réunit tous les codes du personnages Dreamworksien (icône du mal dans la culture populaire détourné pour en apprendre une autre facette, anti-héro qui brise les conventions à travers des références à la pop-culture, personnage craintif face au regard des autres et inquiet sur la manière dont il laissera une trace dans le temps... tout y est, on ne peut pas faire plus DreamWorks que ce personnage). On retrouve un tandem que nous avons déjà vu dans la cinématographique DreamWorks (Une représentation du spectateur amené à se confronter à DreamWorks pour apprendre à se détacher des codes du réels pour redécouvrir le plaisir de rêver ré-évaluer un studio qu'il a mal jugé), avec le Chat Potté et Perrito, mais en beaucoup plus direct et moins subtile (ce qui n'est pas tant un défaut en soit, peu être juste un symptôme, mais on y reviendra plus tard). De manière générale, on sent que le film veut être le plus direct et le moins ambigu possible. A travers des voix off provenant d'Orion, ou même parfois avec des dialogues sur-explicatifs (ainsi qu'à l'arrivé d'un personnage externe au tandem), le film cherche à éviter les détours et à se confronter à l'aventure le plus efficacement possible. Orion est amené à rencontré des personnifications qui rythme la nuit (à la manière de Dark, ils s'inscrivent dans la logique DreamWorks de puiser dans le quotidien et le connu pour construire un univers fantastique qui se détache de l'univers du conte par Disney). Chacune de ces personnifications vont faire appel à des références culturels pour amener de l'humour et de la légèreté très efficace, notamment l'esprit qui endort (qu'on peut comparer à la figure du marchant de sable, on y reviendra après) avec des techniques... très personnelles. L'objectif d'Orion est de découvrir une forme de candeur et de magie face à la cruelle réalité de la vie qu'il voit en permanence. Durant les 30 premières minutes, le film fonctionne et on arrive à croire à ce qui nous est proposé, même si l'écriture et l'exécution donne l'impression de trop rester sur des railles suivant un chemin beaucoup trop sage. Même si le film ne décolle pas vraiment, on a envi de suivre Orion dans ce qui semble être un récit métaphorique mêlant philosophie sur la vie et les différentes préoccupations du studio... sauf que le film ne veut pas être un récit philosophique.


On sent un film qui cherche à éviter toute forme d’ambiguïté et à ce que tout soit accessible au spectateur (le contraire même d'un film cherchant à faire réfléchir). Cela peut aller des lignes de dialogues sur-explicatifs (quand lorsque Orion monologue pour expliquer sa vie), à l'incursion d'une dimension méta (pour ne pas spoiler) avec plusieurs imbrications de réalités afin qu'une réalité puisse interagir avec la réalité du récit. Concrètement, le film n'hésite pas à invoquer Deus Ex Machina et une force supérieur dirigeant le récit et empêchant toute ambiguïté, et c'est à l'arrivé d'un personnage omniscient que le film meurt. Par l'absence d'antagonisme, par l'absence d'enjeux, voire même de sentiments négatifs, le cherche avant tout à convenir à tout le monde en adoptant une posture neutre que personne ne peut critiquer. Cela se remarque jusque dans sa réalisation qui, malgré quelques tableaux intéressants, ne prends jamais de risque. Il y a bien quelques effets de collages et de dessin 2D lorsque l'on évoque le journal intime d'Orion, mais ce sont les seuls originalités de tout le film... qu'on pouvait déjà trouver dans le film Les Mitchells contre les machines. Si le film ne propose pas d'effets trop ambitieux, il y a moins de risque d'avoir qui n'apprécie pas le film... mais avec cette logique, on risque de ne trouver personne qui puisse apprécier l'absence même de proposition. Le film veut avant tout être au mieux un divertissement familiale, au pire un produit servant à occuper un utilisateur dont on voudrait son attention. On comprend alors que le film est avant tout un produit Netflix et/ou (au moins) de plateforme car, si on retrouve le savoir faire technique (et certaines gimmicks de signature) de DreamWorks, il n'y a pas l'ambition, ni même l'envi, de s'inscrire dans la ligné d'un Shrek ou d'un Dragon. Là où même Ruby l'ado kraken essayait, malgré que cela soit de manière très grossière et maladroite, Orion n'essaye même pas car foncièrement, ce n'est pas un film DreamWorks, mais une commande Netflix. On peut alors rapidement condamner le film et le laisser dans l'oubli comme beaucoup de films récent de plateforme qui vont tomber dans l'oubli si ce n'est pas déjà le cas. Pourtant, j'aimerais au moins sauver un aspect du film.


A travers l'apparition d'un personnage omniscient, le film fait un virage à 180 degrés au détriment de la possibilité d'enjeux narratif afin de parler de transmission de savoir. Il y a alors une sorte de confrontation des générations, où un enfant est amené à rencontrer les différents membres de sa famille quand il avait son âge, et ce final arrive à être touchant, rappelant des moments dans Miraï ma petite sœur. Cela créé une bulle où tous les membres de la famille peuvent échanger et imaginer tout en ayant le même âge, dans un même pied d'égalité. C'est paradoxalement le moment le plus fort et le plus riche du film alors que, tout connement, le film n'exploite jamais cette idée. La faute revient à une arrivé trop brutal du personnage omniscient qui donne l'air de sortir de nulle part, et une lourdeur... c'est au point de rappeler la scène clôturant le combat final du Chat Potté 2 (avec Perrito, Potté et Patte de Velours filmés de dos regardant les étoiles) dans la scène de fin (sans doute pour créer un rattachement facilement identifiable thématiquement avec un grand film à succès par le même studio, c'est vraiment grossier et douteux). Cela ne fonctionne pas car, plus que sortir de nulle part, cela n'amène rien. Rien n'est installé, le peu présent dans l'histoire est tellement lice et sans impureté que tout est désamorcé, et à aucun moment on ne peut construire quelconque réflexion pouvant être offerte à la personne omnisciente. S'il n'y a pas d'enjeux, comment voulez vous qu'une quelconque transmission de savoir ou de morale soit possible ? Cela arriverait presque à nous faire relativiser des films comme Les nouvelles aventures d'Aladin qui utilise mieux le même procédé.


Mais malgré tout, le film évoque la transmission de connaissance, et cette transition semble plus artificiel que sincère. Il y a bien les échange avec le personnage omniscient qui peuvent créer des chocs générationnels, mais à aucun moment ces scènes sont exploité comme tel à cause des échanges qui, mis à part le cadre, ne donnent aucune indication sur la relation entre le conteur et le spectateur (pour frôler le spoil sans trop tomber dedans). Et puis, le plus gros point noir du film: Pour raconter quoi ? On a bien des références à la filmographie DreamWorks, mais à aucun moment on ne comprend même la moitié de ce que les récents films cherchent à critiquer. Dans ce film, il n'y a pas d'antagonistes et aucune critique d'une forme de modernité alors que, sous tous les aspects, ce film donne l'impression hurle sa volonté de s'inscrire dans la ligné d'un Bad Guys ou d'un Trolls 3. La raison de l'absence d'antagoniste est justement parce que le film ne voit pas ce que critique DreamWorks, allant toujours à trouver un compromis pour ne jamais prendre de parti prix, mais que ce film n'est pas tant un film DreamWorks mais un film Netflix réalisé par DreamWorks, et que ce film est exactement ce que critique DreamWorks. L'un des points des plus importants qui illustre cela reste le traitement de l'oubli et de la crainte de DreamWorks de tomber dans l'oubli. Si on analyse le final de l'aventure d'Orion et de Dark, rien n'empêchera Dark de tomber dans l'oubli car, en traitant la thématique en coup de vent et en oubliant d'y trouver une finalité, le film relativise l'un des points capitaux des thématiques chez DreamWorks. Le film devient alors plus une copie de DreamWorks qu'un pure enfant des raisonnements qui motivent le studio, enfant engendré par le système d'algorithme qui semble régner sur la création des films modernes (avec Free Guy, Spece Jam 2 ou encore Red Notice). On pourrait presque se dire que certaines scènes de confrontation entre le rêve et le réel n'ont jamais été fait... mais cela serait oublier Les 5 Légendes. Le marchand de sable endormant le monde pour les aider à rêver, les différentes divinités demandant l'aide d'un enfant pour survivre et ne pas tomber dans l'oubli... Ce film est une redit pur et dure des 5 Légendes biberonné avec la même drogue que ceux fourni sur le plateau de Sharkboy et Lavagirl, la folie en moins.


Le plus déprimant reste qu'avec une thématique aussi ouverte et passionnante que "la peur", on arrive à en tirer un film aussi fade et oubliable si ce n'est un vague moment final intergénérationnel qu'on aura déjà vu dans d'autres films. Je ne veux pas mettre cet échec sur le dos de DreamWorks qui a surement répondu à une commande de Netflix. Malgré que ce film est objectivement le pire film DreamWorks jamais réalisé jusqu'à présent, j'espère au moins que le film aura été un terreau de réflexion, mais j'en doute.


7,25/20


N’hésitez pas à partager votre avis et le défendre, qu'il soit objectif ou non. De mon côté, je le respecterai s'il est en désaccord avec le miens, mais je le respecterai encore plus si vous, de votre côté, vous respectez mon avis.

Youdidi
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le 19 févr. 2024

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