Quand j'ai noté ce film jadis, je considérais qu'il faisait partie de ces oeuvres grassement surévaluées par un affectif qui m'est absolument essentiel. En le voyant pour la première fois ce soir sur grand écran, je reconsidère cette idée. Non, je ne surnote pas "La Mouche", qui constitue pour sûr une certaine forme de perfection, sinon dans la filmographie possédée de Cronenberg, au moins dans sa catégorie de film de monstre suintant et sirupeux.

Et oui, quelque part, ces quelques mots ont moins valeur de critique que d'expression d'une euphorie encore toute bouillonnante, tout juste sorti que je suis d'une salle qui exauçait un de mes nombreux voeux cinématographiques.

Cronenberg reprend l'idée principale de "La Mouche Noire" de 1958, film hautement recommandable par ailleurs, pour en déchiqueter la trame principale et y enfourner ses propres obsessions redondantes. L'ensemble assez conventionnel du modèle, bâti sur une montée en tension érigée sur un mystère ambiant, est ici complètement chamboulé, explosé, prenant la forme d'un direct à l'estomac pris dans l'objectif voyeur de ce réalisateur fou furieux avide de chair, de sang, d'entrailles et de charnelle, danse lancinante d'yeux de braise et griffes de fauve.

Dès les premières secondes, on est plongé dans l'intrigue et on sait en quelques mots de quoi il retourne. Puis le film prend le sillage propre au réalisateur, douce mer d'huile admirant ses clapotis fougueux et guettant les éventuels nuages sombres s'amoncelant sur l'horizon, surface plate et coulante d'où jaillit par intervalles saccadées des éclats qui tâchent et jets qui blessent, souvent aussi inattendus que saisissants.
Le métrage se fait progressivement pièce de bidoche sauvagement entaillée dans laquelle sera gravée avec une hargneuse affection ce qu'appellera Seth Brundle "La poésie du steak", une idée charmante qui pourrait bien offrir ses lettres à la filmographie de Cronenberg...

Le réalisateur dément trouve dans la série B de monstre le terrain propice et Ô combien approprié à une nouvelle expérimentation de ses plus profondes récurrences tourmentées, déchiré, spasmodique, entre douceur sensuelle et cruauté sadique, il fait de cette lie de viande frissonnante de soubresauts un petit épanouissement personnel, aussi ludique que cynique. Le film empoigne, prend aux tripes, fait rire et sursauter, et même, dans un moment d'égarement, touche sincèrement dans son ignoble sensualité. Un échange de regards aussi prenants que délicieusement hideux entre une Geena Davis toujours radieuse et un Jeff Goldblum taillant l'un de ses deux plus grands rôles dans cette mouche géante et tellement fascinante.

En tout cas il n'y a rien de plus jouissif au ciné que d'entendre une salle exprimer son dégoût, son amusement, sursauter puis rire de sa propre réaction et se complaisant dans une grande satisfaction commune, comme réalisant de concert que putain, on a jamais vraiment fait mieux dans le genre depuis...

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le 20 janv. 2014

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zombiraptor

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