A l'instar d'un Dead Zone, Cronenberg signe sans doute avec The Fly (remake de La Mouche Noire de 1958), le moins fumiste de ses films fantastiques, le plus direct, le plus concis, le plus touchant et le plus porteur.

Cette histoire de monstre en deviendrait presque humaine...

Plus encore qu'un monstre fantastique, la Mouche se figure être une vision de cauchemar: le cauchemar scientifique ou quand l'homme voulant se transcender et se rapprocher des dieux voit sa propre nature en être pervertie, corrompue, déformée jusque dans sa chair d'insecte—car c'est ce qu'il est à côté des dieux.
Dépossédé de ce qui caractérise son humanité (ses limites physiques et morales, « sa politique »), le personnage de Brundle, avant de se métamorphoser physiquement, agira de façon extrême, poussée, poussive, et en cela se rapproche déjà d'une des définitions du mot monstre: le hors norme, le remarquable, l'intense. Si on voulait forcer un peu le trait on pourrait dire qu'ici le scientifique, faiseur de monstre dans les histoires, devient lui même un monstre en voulant se recréer après s'être détaché de son intégrité naturelle (le procédé de télé-transportation).

La mouche c'est aussi le cauchemar amoureux poussé à son paroxysme: l'ancien amant intrusif et possessif, le prince charmant qui s'avèrera être un monstre au sens propre comme au (dé)figuré, l'angoisse de la maternité et l'idée d'un corps étranger (voire étrange) se développer en soi, sans oublier la perspective d'une relation fusionnelle (là encore dans tous les sens du terme) viscéralement morbide.

Comme je l'ai dit plus haut Cronenberg parvient à synthétiser en quelque sorte la plupart de ses thèmes récurrents (la métamorphose, la fusion des chairs—kikoo Francis Bacon—, le sexe etc) dans une bobine qui pour une fois ne part pas dans tous les sens. Le film est à la fois efficace, lisible, et bien servi par une ambiance anxiogène une fois de plus parfaitement soulignée par le travail de Shore, un poil plus sobre que d'habitude, et dont j'aime décidément le boulot.
L'interprétation de Goldblum, juste et crédible, apporte une touche d'humanité salvatrice à l'histoire et garantit l'attachement sine qua non du spectateur au personnage sans laquelle ni l'intrigue ni la fin insufflant la pitié ne pourrait fonctionner. Même Gina Davis ne s'en sort pas trop mal, néanmoins j'avoue me retenir de rire à chaque expression d'horreur se lisant sur son visage, allez savoir pourquoi; un délit de sale gueule sans doute.

Bien entendu, notre cher canadien ne nous épargne pas les scènes choc d'un gore parfois dispensable, et on pourra sourire à la vue de la combinaison intégrale de Goldblum en latex, mais le grand soin apporté aux maquillages et à l'élaboration des scènes "spectaculaires" faisant passer le spectateur par divers stades d'émotions (dégoût, frayeur, peine voire pitié) font oublier ces petits travers.

Un Cronenberg bien construit, bien interprété, aussi touchant que pessimiste, qui part d'un point A vers un point B sans se perdre dans la fumisterie ou la surenchère ? Quelle mouche l'a piqué ?
real_folk_blues

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