Le réalisateur David Cronenberg fut probablement l'un des premiers artistes m'ayant définitivement fait tomber amoureux du média cinématographique. De façon plus générale, ce cinéaste est peut-être l'un des rares ayant officié dans le genre horrifique étant considéré quasiment universellement comme un auteur. Nous pourrions offrir un comparatif avec des réalisateurs tels que George A. Romero, Dario Argento ou encore John Carpenter qui n'auront pas cette reconnaissance absolue en fonction des pays et touchent peut-être plus un public de niche. Carpenter déclarera d'ailleurs lors de sa récente venue au Festival de Cannes : "Aux États-Unis, je suis vu comme un voleur, en France, je suis vu comme un auteur". Cronenberg sera, selon moi, le seul à avoir atteint ce prestige public et critique et ce de façon internationale.


S'étant déjà fait connaître avec des œuvres comme "Videodrome", "Chromosome 3", "Scanners" ou "Dead Zone", le cinéaste n'aura au milieu des années 1980, déjà plus rien à prouver. Dès ses tout débuts, le cinéaste aura déjà démontré sa fascination pour le genre du body horror dont il deviendra le principal metteur en scène. Le corps humain ainsi que ses transformations physiques et mentales seront encrés dans la filmographie du cinéaste jusqu'à l'arrivée des années 2000. C'est en 1986 que débarquera sur les écrans ce qui sera probablement le chef d'oeuvre du genre, mais également de son auteur : "La Mouche".


Peu de gens sont au courant, mais il s'agit d'un remake du film de 1958 : "La Mouche Noire" avec Vincent Price (que je vous conseille grandement). Dans les grandes lignes, le récit des deux œuvres est très semblable bien que le propos et la vision seront très différents. L'histoire est celle d'un scientifique ayant inventé une machine permettant de téléporter de la matière d'une cabine à une autre. Cela dégénère lorsque le savant se téléporte lui-même et qu'il ne remarque pas qu'une mouche est entrée avec lui dans la machine. Dans les deux films, nous retrouvons une critique de la science avec ces savants faisant fonctionner leurs expériences trop fort et trop vite.
Le film des années 1950 revisité avec brio le classique du film de monstre, mais c'est bien chez Cronenberg que le développement sera le plus abouti. Je précise que tout ce qui suivra ne contiendra aucun spoiler.


Il est ici question d'assister à la vie de Seth Brundle (Jeff Goldblum) qui, après avoir réussi à se téléporter lui-même, voit sa vie totalement changer. En effet il n'a pas remarqué qu'une mouche s'était glissée dans la machine avec lui au moment de l'expérience et, malgré la réussite de cette dernière, ce personnage est condamné à changer. Seth se verra en effet contraint de vivre une transformation lente et douloureuse en insecte sous les yeux de sa nouvelle compagne, Veronica Quaife (Geena Davis). Cette mutation aura lieu autant physiquement que psychologiquement. Nous assistons donc à un homme luttant contre l'inévitable afin de sauver sa vie et sa condition d'être humain qui s'égare petit à petit. Cette transformation reste aujourd'hui encore absolument cauchemardesque au vu de sa très lente et terrifiante progression . D'abord par un changement comportemental puis ensuite physique venant discrètement s'installer pour ensuite évoluer. De petites taches sur le corps du caractère, nous partirons vers des pertes d'ongles et bouts de peau pour avancer petit à petit dans l'horreur absolue. Seth (ne comprenant pas ce qui lui arrive) continuera malgré tout à utiliser son téléporteur presque par plaisir. Le cinéaste traite ici de la science presque comme une drogue, une addiction qui causerait la perte des individus et leurs semblables. Il est parfois difficile de bien garder le regard fixé sur l'écran tant ce qui nous est montré peut parfois frapper au plus profond de l'âme humaine.


Cette transformation est magnifiquement mise en scène par Cronenberg et son évolution semble tristement et horriblement cohérente en terme anthropomorphique. La réussite visuelle de celles-ci est due à une légende du monde du maquillage : Chris Walas. Ce dernier est également à l'origine des monstres de "Gremlins", des araignées d'"Arachnophobia" ou de certains effets du sixième "Star Wars". Il réalise ici probablement sa plus grande réussite en terme créatif et son travail y est pour énormément pour la qualité et la réputation du film. Le travail présenté face aux yeux du spectateur est sans appel et fera entrer le long-métrage au panthéon des plus grand practical effect de l'histoire du cinéma, si bien qu'il est finalement difficile de séparer l'oeuvre du travail de Chris Walas qui aura mené avec Cronenberg le film à bien. Pour anecdote, sachez que le maquilleur sera à la réalisation de l'assez mauvais "La Mouche 2" qui sortira en 1989 (que je ne conseille qu'aux plus curieux).


"La Mouche", et par conséquent Cronenberg, nous parle de la transformation physique et psychologique du corps humain. Comme dit précédemment nous sommes dans le genre du body horror. Le cinéaste va utiliser tout cela afin de nous exposer la thématique de la maladie.
Le personnage de Goldblum est malade et vit pourtant une relation amoureuse avec celui de Geena Davis. Cette dernière assiste impuissante face à la dégradation de Seth et sait ne pouvoir rien faire face à cela. Beaucoup de spectateurs ont à l'époque interprété le film comme une métaphore du VIH, il est vrai que certains points peuvent montrer des ressemblances. Cependant, c'est Cronenberg lui-même qui déclarera que le film ne parle pas du SIDA précisément, mais de toutes les maladies. Il me semble intéressant quelque part de faire un comparatif avec des œuvres très différentes comme "Amour" de Michael Haneke (bien qu'ajoutant également la thématique de la vieillesse en plus). Dans les deux cas, nous retrouverons ces personnages désespérés face à l'inévitable. Le fait de ne rien pouvoir faire face à un malade et de ne pouvoir que constater est chose à laquelle nous avons été nombreux à être confrontés. Le long-métrage de Cronenberg travaille de façon magistrale ses thématiques.


Pour continuer ce dernier point, il me semble intéressant de parler de "La Mouche" comme d'un film d'amour. Jeff Goldblum et Geena Davis crèvent l'écran dans ce qui restera sans doute la meilleure performance de leur carrière. Leur couple est dans un premier temps attachant et assister à leurs souffrances ne peut que faire s'impliquer le spectateur. "La Mouche", c'est finalement l'histoire d'un amour se voyant compromis par la maladie, cette dernière met le couple en péril et ils feront chacun le maximum pour aider l'autre. Le personnage de Geena Davis devra faire son maximum pour soutenir Seth tout en sachant qu'il ira de mal en pis tandis que ce dernier lutte pour contenir son humanité et donc son amour pour la jeune femme. Le métrage n'en ressort que plus triste et tragique dans sa façon de démontrer les événements et la relation entre ces deux personnes.


"La Mouche" est une œuvre triste, tragique, parfois drôle et surtout viscérale dans sa façon de faire vivre et voir les choses au spectateur. David Cronenberg, entouré d'une équipe talentueuse, réalise ce qui reste probablement son film le plus important, mais également le chef d'oeuvre du body horror. Il en ressort un métrage totalement culte qui aura marqué l'histoire du cinéma et acheva de mener son cinéaste au rang d'auteur reconnu. Le réalisateur offre une œuvre critiquant l'absence des limites de la science, parlant de la maladie ainsi que de l'amour dans une maîtrise parfaite de ces concepts et thématique. Le film fait également partie de ces œuvres ayant complètement révolutionné le practical effect au même titre que "The Thing" (1982) de John Carpenter et "Aliens" (1986) de James Cameron. Cronenberg a plongé dans les tréfonds de l'âme humaine pour en retirer les peurs les plus viscérales.


Il s'agit à mon sens d'une œuvre devant être vue une fois dans sa vie qui vous marquera probablement à tout jamais. De mon côté, j'ai découvert ce film vers mes 12 ans ; m'offrant ainsi un théâtre de terreur cauchemardesque (je pense notamment à la séquence du rêve) et de fascination qui ne cesse de m'envoûter encore aujourd'hui. Il s'agit de l'une des oeuvres m'ayant fait aimer de façon abusive le cinéma et pour ça je l'en remercie autant que son auteur qui reste encore aujourd'hui l'un de mes favoris. Dans cet écrit, je ne suis resté qu'à la surface du film, aussi, je vous invite à vous faire votre propre interprétation de "La Mouche" qui offre de multiples couches de lecture et qui ne cessera probablement jamais de fasciner des générations entières de cinéphiles.

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le 10 juin 2020

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