À l'image de la publicité ou d'Instagram, Jodorowsky nous embarque dans un long-métrage surchargé d'images souvent surprenantes voire provocantes, saturées de couleurs et formant un ensemble harmonieux et visuellement attrayant. J'utilise cette comparaison anachronique car au-delà de l'esthétisme, le film m'a aussi semblé très actuel dans son propos... du moins si on peut considérer qu'il y en a un vu la complexité du film. Par exemple, la présentation des sept planètes et les dérives de la société qu'elles incarnent ne sont pas désuets:
- Venus, la déesse de la beauté prend la forme d'un magnat narcissique de la cosmétique obsédé par le jeunisme au point d'inventer un masque permanent ou encore un automate permettant d'animer les défunts lors de l'enterrement.
- Mars, un dieu de la guerre féminisé, fabrique des armes pour les croisades modernes: révolvers bouda ou crucifix, fusils hippies, colliers grenades et autres fantaisies destructrices pour compléter ce tableau antinomique
- Jupiter, le dieu de l'Olympe connu pour son infidélité est présenté sous les traits d'un marchand d'art contemporain obnubilé par le(s) cul(s) (peintures en séries, sculptures vivantes, machine à orgasme digital comme objet de design...)
- Saturne divertit les enfants tout en influant leur comportement futur (inculcation de la haine des Péruviens dans la but d'une extermination)
- Uranus incarne un conseiller politique incoercible que l'on écoute aveuglément
- Neptune, évoquant les tempêtes marines, est un chef de police émasculateur et narcissique
- Pluton, le dieu des Enfers, apparaît comme un architecte aux allures de pédophile qui joue à cache-cache avec des enfants déguisés en Mickey
Dès la première partie du film, Jodorowsky nous plonge dans un univers farfelu mais pourtant teinté de réel: les fusillades massives, les processions sordides, les touristes assoiffés de photographies saugrenues, des prostituées ferventes, etc.
J'ai un peu de mal à comprendre la première partie qui retrace le parcours du sosie du Christ dans la ville jusqu'à l'ascension de la tour de l'alchimiste. Elle me plait esthétiquement (notamment la scène avec les caméléons déguisés en soldats gardant la cité antique de Mexico) mais l'absence de dialogue et la succession de scènes étranges m'intriguent. Elle semble proposer un panorama des différentes formes de croyances et dévotions (avec de nombreuses références au catholicisme mais aussi des allusions à l'Islam, au Judaïsme, à la cartomancie et à l'astrologie) mais sans direction précise.
La seconde partie est narrativement plus claire puisqu'elle illustre la quête de l'immortalité en allant à la rencontre des sages de la montagne sacrée. Le faux Jésus suit d'abord un parcours initiatique (durant lequel ses étrons sont transformés en or, évoquant tout autant la transsubstantiation que la poule aux oeufs d'or, le tout dans une sorte de hammam oval évoquant l'iconographie du Christ Pantocrator) au sein de la tour avant de découvrir les sept planètes et d'atteindre le sommet de la montagne en leur compagnie.
La seconde partie est non seulement plus lisible mais aussi plus drôle (le refus de la démultiplication des pains face à un peuple égoïste et cupide, l'exorcisation des démons intérieurs sur la barque, le Panthéon-bar avec ses adeptes de LSD et ses orgies macabres, la réinterprétation des péchés capitaux lors de la confrontation à la mort une fois le sommet franchis...).
La scène finale est quant à elle un peu décevante...
Il faut trouver le moment idoine pour regarder un tel film, et surement attendre de le revoir pour mieux le comprendre mais il mérite d'être vu !