Corps véritables, lois implacables

En passant tout près du corps de ses acteurs pour nous raconter le récit complexe d’un foyer qui se déchire suite à des histoires sexuelles, « La Mif », film du réalisateur genevois Frédéric Baillif, nous émeut et nous questionne.

Audrey (Anais Uldry), habitante d’un foyer pour adolescents à difficultés, couche avec l’un de ses cohabitants. Problème : elle a 17 ans, il en a 14 – elle a la majorité sexuelle, il ne l’a pas – et l’une des éducatrices les surprend en plein acte. Cette dernière ne voit alors pas d’autre solution que d’appeler la police, un fait qui aura de grandes répercussions sur l’organisation du foyer – passant alors d’un espace mixte à un lieu réservé uniquement aux jeunes femmes.
Si ce film fonctionne si bien, a un effet si percutant sur ses spectateurs, c’est probablement grâce au processus de tournage adopté par son auteur. En tournant dans un véritable foyer, en choisissant des acteurs non-professionnels pour incarner des personnages très proches de leur personnalité réelle, mais aussi en laissant une grande place à l’improvisation pour que les dialogues sonnent vrai – le réalisateur genevois nous immerge avec brio dans cet environnement hostile, bien que, parfois, transcendé par de bouleversants moments de douceur. Sa méthode qui, de bien des manières, est une forme de redite de celle du cinéaste britannique Ken Loach, donne à ce long-métrage une forme d’honnêteté, de réel, qui transperce l’écran.
Cette forte impression de réel, Baillif la met au service d’un propos passionnant sur le caractère trop généralisant de la loi, la rendant incapable de faire face à la réelle ambiguïté du vivant. Dans le film, cette dimension mène au décalage suivant : pour Audrey et son partenaire, cet acte consenti d’un côté comme de l’autre n’est en rien problématique, mais pour les cadres inamovibles de la justice, cet événement est illégal et se doit d’être puni. Le système législatif essaye ici de protéger les individus, mais finit par les punir inutilement. L’absurdité de ce genre de décisions sera alors dénoncée par la directrice de l’institution, Lora – que la charismatique Claudia Grob campe à merveille – fait qui mettra à jour de multiples tensions au sein du foyer. Petit à petit, la limite qui paraissait claire, évidente, « inamovible », entre le corps encadrant et encadré, viendra à s’éroder.
Les corps que filme Baillif de très près, de trop près, s’entrechoquent, s’entremêlent, parfois par amour, parfois par haine, mais toujours pour nous rappeler aux incohérences d’un système qui détruit la spontanéité du sentiment humain. Un film éprouvant mais terriblement juste.

ColinSchwab
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le 3 avr. 2022

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Colin Schwab

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