Alors, que retenir de ce petit film qui accumule les prises de positions qui lui valent la consécration critique et plus modestement publique (Cannes 2017 et ses retours dithyrambiques) ? Principalement sa grande virtuosité des scènes de lévitation, qui parvient à faire cohabiter l'esthétique d'un Alphonzo Cuaron avec la caméra folle d'un Gaspar Noé. Pour ces séquences aériennes, le film réussit admirablement l'immersion et l'ambiance. Rien que pour cet exercice fascinant, le film a gagné sur le plan de la cinéphilie.


Après, il y a le reste, et là, on peut ergoter sur les détails. Le thème des migrants est surement celui qui revient le plus (avec celui de la religion catholique), essentiellement par l'illustration de la vie dans les camps de réfugiers et sur les rafles de la police (avec des sélections à genoux les mains sur la nuque, desfois qu'on n'ait pas bien compris les analogies). L'aspect sécuritaire, mais sans les questions raciales ou religieuses. On accorde toutefois un (seul) argument argument à la logique sécuritaire : les terroristes infiltrés. Le film prend toutefois la peine de distinguer les deux problèmes, chose qui se révèle autrement plus difficile sur le terrain, et carrément ingérable avec l'immigration illégale (où le passé de la personne est difficilement contrôlable). On représente aussi la corruption de certaines personnes chargées des migrants, qui s'enrichissent parfois en rendant des services aux migrants (le jugement est ambigu, l'argent est mauvais (et associé à la religion dès l'apparition) mais l'aide est concrète, et exploitée aussi par les terroristes).


C'est sur la question religieuse que le film trébuche complètement. On a compris que les manifestations du don du personnage vont un peu plus loin que la simple lévitation, et plus le film avance, plus il affirme l'aura divine de son personnage. Seulement voilà, ce personnage n'est plus un simple humain. Il dépasse son statut, il s'extrait de sa condition, et il s'extrait d'ailleurs de l'Humanité, qui reste au sol à lever les yeux. Le film veut faire un symbole de son Jésus Migrant, mais il ne comprends pas que la Foi va au delà de la condition humaine, qu'elle se dissocie de nos maux terrestres. Et que la Foi catholique n'est pas une acceptation aveugle. Le film veut toucher les pays du bloc Visegrad en s'attaquant à leur logique sous l'angle de la Foi, en présentant seulement l'argument de la charité "chrétienne" dans sa généralité la plus large. Seulement, il faut aussi les moyens de sa générosité, et savoir reconnaître son prochain en quelqu'un qui partage des valeurs communes. Navré pour les souffrances (il y en a beaucoup dans le monde, et les comparer serait vain), mais quand on afflue massivement en important ses valeurs et sans volonté d'insertion au delà du permis de travail, on crée des mini-sociétés communautaristes dont les objectifs ne sont pas la prospération de l'identité d'accueil, mais la prospération de sa propre culture (difficilement compatible dans le cas de l'Islam). Aussi, invoquer une charité religieuse pour des personnes massivement d'une autre religion est une concession au suicide culturel (car nier les conséquences de ces bassins humains que nos gouvernements essayent de nous faire absorber ne règlent pas les tensions communautaires et religieuses, or ce sont les effets que nous ressentons à notre niveau de citoyen). Et vouloir utiliser cette dimension religieuse pour servir une cause humaine est une erreur, car malgré sa forte ampleur, la religion ne parle pas à tous. C'était là que Les fils de l'Homme touchait au génie, il parvenait à unir dans un sentiment de retrouver son humanité, de retrouver une transcendance par l'espoir au milieu du chaos. Quel espoir y-a-t-il ici ? Que les choses changent avec Birdman ? Oui mais alors comment ? A quel prix ? Car les effets pervers de l'intégration hâtive commencent à se remarquer, et qu'on pulvérise les records de naturalisation chaque année (995 000 nouvelles nationalités européennes en 2016, dont 12% d'intra-européennes selon les chiffres d'eurostat).


En bref, on retient surtout de la Lune de Jupiter une grande capacité à impressionner dans la forme (avec quelques imperfections, comme cette interminable course poursuite en voiture, ou comment rendre trop voyant ses plans-séquences) et à s'éparpiller dans le fond, avec de grandes ambitions (les fils de l'homme 2.0) et une sincère envie de faire le buzz, avec savoir faire épatant et implication limitée.

Voracinéphile
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le 13 avr. 2018

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