Si Hitler voyait ça, il se retournerait dans sa tombe !

Troisième volet de ma trilogie de critiques consacrées aux films de guerre vu en cours d'histoire. Ce troisième épisode risque malheureusement d'être le dernier étant donné l'épuisement psychologique dans lequel il a plongé mon pauvre professeur. Je n'exagère pas, même si c'est lui qui nous a apporté le long métrage il a été tellement perturbé à la suite de son visionnage qu'au bout de 2h08 de film, il a zappé toute la seconde partie pour nous renvoyer directement à la fin. Toutes ces horreurs et ces abominations décrites avaient eu raison de son esprit d'ordinaire si passif, et je me suis demandé si moi, plus chétif encore, serais capable de le supporter. Et au final, il s'avère que j'ai presque failli chialer, mais pas pour les raisons que vous pouvez imaginer.

Tout d'abord il faut savoir que j'ai toujours eu un problème avec les films historiques, en particulier ceux que les professeurs passent en cours à leurs élèves. Le problème de ces longs métrages comme La Rafle par exemple, c'est qu'ils se contentent de décrire simplement la réalité des faits sans aucun regard, ni portée artistique et avec quasiment pas de mise en scène sous prétexte que l'histoire qui nous est racontée et suffisamment instructive et intéressante pour pouvoir s'en passer. Ces films là, je les considère plus comme des reconstitutions ou des docu-fictions que des véritables œuvres cinématographiques, car tu sens clairement que c'est fabriqué dans le seul but de satisfaire des professeurs incapables de faire leurs leçons sans l'appui d'images précises.
Mais La Liste de Schindler sort du lot. Déjà ce n'est pas un réalisateur lambda qui a été mis à la tête du projet mais un grand nom acclamé d'Hollywood, j'ai nommé Mr Steven Spielberg ! Ce dernier a en effet tenu à le réaliser non pas à des fins commerciales, mais bien en tant que devoir de mémoire, en souvenir de ses ancêtres juifs victimes des monstrueux crimes nazis. Car à l'époque, la situation était légèrement différente, en l'absence de preuves concrètes de plus en plus de monde s’amusaient à contredire la version officielle et à affirmer que les chambres à gaz n'étaient que pure invention. Il y avait donc urgence, il fallait à tout prix faire une œuvre qui marquerait à jamais dans les mémoires cet évènement dramatique et faire taire les théories négationnistes, d'où la naissance du film dont Spielberg ne reçut aucun dollar pour sa réalisation prétextant que ce salaire aurait été «l'argent du sang».

On suit donc l'histoire d'Oskar Schindler, un escroc polonais plein de ressources, qui va pactiser avec les diables de nazi et profiter du malheur des juifs pour faire fortune. Il commence par faire le beau dans des soirées chics, puis se fait remarquer par quelques officiers influents du parti qui lui assureront amitié et protection. Il va ensuite profiter de la déportation des juifs pour racheter à bas prix une entreprise dans laquelle il fera travailler des ouvriers sémites. C'est tout bénef pour lui, il n'a pas à payer ses employés puisqu’ils ne sont plus considérés comme des êtres humains mais comme des esclaves, par conséquent les affaires fleurissent, Schindler devient riche, puissant et terriblement influent dans le milieu du nazisme. Avec l'ascension de ce petite enculé (jouer avec grâce par un Liam Neeson dans son registre favori), on a droit en parallèle à l'histoire personnelle des juifs de Cracovie qui sont tour à tour transférés dans le ghetto, puis déportés ou réduits en esclavage par des officiers allemands brutaux aux tendances schizophréniques. La première partie se concentre exclusivement sur ces deux points : L'histoire de Schindler et celle du peuple juif.
Pour la première fois de sa carrière, Spielberg ne se soucie que d'authenticité, rien ne nous est épargné, ni les déportations, ni les scènes de tortures, ni les exécutions arbitraires (ou non), ni même le traitement des enfants. Le film nous montre tout, même le plus horrible et le plus insoutenable.
Et c'est là son point fort, car malgré la reconstitution minutieuse et réaliste des crimes perpétués lors de la Shoah, le long métrage reste avant tout une œuvre d'art à part entière, d'une puissance et d'une intensité phénoménale. S'il y parvient, c'est surtout grâce au talent de son réalisateur.

A moins que vous soyez daltonien, vous aurez sans doute remarqué que le film a été tourné en noir et blanc. Ce choix artistique n'a pas été fait au hasard. L'absence de couleur permet non seulement d'attacher le film à tous les documentaires réalisés sur la Shoah afin de bien faire comprendre que tout ce qu'il y raconte est réel et qu'il a autant de valeurs informatives que tous ces docus précédemment réalisés. Mais il permet surtout de donner une forme et une identité à ces crimes. En effet, au début du film, on est chez une famille juive qui fête le sabbat, les couleurs sont bien présentes et se font lumineuses. Puis, l'histoire commence et d'un seul coup, les couleurs disparaissent, ce qui montre une intention de plonger le récit dans une ambiance sombre, glauque et lugubre auquel le noir et blanc colle parfaitement.
De plus, on sait que Spielberg a un vrai talent pour la mise en scène surtout quand elle s'accompagne de décors gigantesques et d'effets spéciaux spectaculaires. Avec un sujet plus intimiste comme celui-ci, on aurait pu craindre qu'il ne tombe dans la facilité en adoptant une forme très académique, mais c'est tout le contraire qui se produit. Le cinéaste signe là l'une des réalisations les plus époustouflantes de sa carrière. Chaque plan, chaque séquence, chacune des scènes est réfléchit au millimètre près. Pas une ne se ressemble et pourtant le travail effectué sur chacune d'entre elles colle extraordinairement bien. Tout est filmé comme il doit l'être et produit l'effet qu'il doit produire, c'est simple, je ne vois tout simplement pas comment on aurait pu faire mieux. Cette réalisation aux effets parfois excessifs à tendance à dire "Regardez comme je suis trop fort, regardez comme je suis original", c'est évident, mais putain qu'est-ce que c'est beau, qu'est-ce c'est bien fait, qu'est-ce c'est merveilleux !!! ça c'est ce que j’appelle du cinéma !

Bref, après 2h08 de scènes volontairement insoutenables servit par un Mr Steven en plein état de grâce, le film entame enfin sa deuxième partie. Vous savez, celle que j'ai été obligé de voir en streaming sur mon petit écran de merde au lieu du putain de 16/9 home cinéma dans ma classe d'histoire ! Je sais que je m'énerve, mais c'est vrai que c'est dommage, parce que justement, à partir de cet acte, Spielberg cesse de s'attarder sur les atrocités pour nous narrer comment Schindler a réussi à sauver 1100 juifs de l'extermination. Car entre temps, le personnage principal a connu une lente et ambigüe évolution. D'abord gros connard égoïste, il s'est aperçu qu'il été devenu dépendant des juifs et qu'il ne fallait en aucune façon qu'ils ne soient trop déportés, sans ça son business risquait de se casser la figure. C'est d'abord pour cette raison qu'il protège certaines personnes, puis petit à petit, il va peu à peu prendre conscience de toutes les monstruosités qui sont entrain de frapper ce pauvre peuple, il va ressentir de la pitié pour eux et commencer à les aider par simple compassion. Jusqu'à l'heure fatidique où, voyant que tous sont condamnés à la déportation, il prend la décision d'en acheter le plus possible quitte à se ruiner. Schindler était une énigme, nul ne sait ce qu'il l'a poussé à se prendre d'affection pour le sort de ces personnes, Spielberg ne tente pas de la résoudre, même si il dissémine quelques éléments de réponse comme cette superbe scène où, du haut de son cheval, Oskar observe une petite fille au manteau rouge essayant de survivre dans ce chaos mortuaire.

J'en profite d'ailleurs pour faire une petite parenthèse sur la musique qui est des plus bouleversante. Papa John Williams a encore fait du bon travail. Non seulement sa mélodie nous rentre dans la tête comme pas possible, mais en plus elle terriblement émouvante et colle parfaitement aux scènes où elle est utilisée (ce qui prouve une nouvelle fois à Alexandre Desplat qu'on peux très bien faire une bonne musique de drame sans qu'elle soit chiante et monotone). De plus, chaque chanson additionnelle employée par le réalisateur est également très marquante et pleine de connotations très bien trouvées.

Mais l'instant le plus bouleversant et inoubliable c'est bien évidemment son épilogue, lorsque Schindler contraint de fuir la Pologne pour échapper aux jugements des américains qui viennent de remporter la guerre, se retrouve nez à nez avec les 1100 personnes qu'il a sauvé. Tous sont là pour lui dire au revoir et le remercier. Lui d'ordinaire si calme et si impassible, s’effondre en pleure. "J'aurais pu en sauver plus", répète t-il inlassablement. "Pourquoi n'ai-je pas vendu cette voiture, j'aurais pu sauver 7 personnes de plus sans elle ! Et cette bague en or, 2 personnes j'aurais pu sauver avec ça !". Je sais; dit comme cela, ça n'a peut-être l'air de rien, mais croyez-moi, cette scène est plus émouvante que n'importe quelle exécution dans le film. Parce qu'on n'y voit un homme qui a tout perdu, et qui malgré tout, pleure parce qu'il n'a pas l'impression d'avoir sauvé assez au regard de ce qu'il été en mesure de faire, et le pire c'est qu'il a raison. Ainsi voilà le message du film, il n'y a pas de héros absolu dans la vie, Oskar n'est guère perçut comme un Superman des ghettos, mais il prouve que n'importe qui a le pouvoir de changer les choses, car "Celui qui sauve une seule vie, a préservé un monde entier". La dernière séquence montre les vrais juifs de Schindler 50 ans après les faits, la couleur est revenues, preuve que la période sombre est désormais terminée, et tous mettent sur sa tombe une pierre, symbole de leur amitié et de leur reconnaissance envers ce grand homme. Jusqu'à ce que Spielberg lui-même dépose hors-champ une rose afin de marquer son respect et sa reconnaissance. Déchirant !

Je termine juste en évoquant le doublage français qui m'a laissé quelque peu dubitatif. Au début quand j'ai entendu les premières paroles, j'ai eu drôlement peur. Mais finalement au bout de 3h15 je me rends compte que ce n'était pas si mauvais. Le gros problème provient surtout des figurants juifs qui manquent parfois de naturel et qui nous font trop penser à d'autres acteurs connus ce qui nous détourne de notre histoire. Et puis je trouve que la voix du méchant ne lui va pas du tout, mais sinon c'est relativement passable. Le plus réussit reste le travail effectué sur Oskar (très classe avec la voix de rogue dans Harry Potter) et de son comptable juif dont le doubleur sublime avec justesse le jeu si subtil de Ben Kingsley.

Voilà, j'espère avoir réussi à vous faire partager mon ressenti personnel sur cette œuvre et à vous avoir convaincu de le regarder au moins une fois, ne serait-ce que pour vous rendre compte des méfaits de la guerre, de la nature humaine, mais aussi pour saluer le travail titanesque du grand Steven Spielberg !

PS: Un énorme merci à Louisette qui a gentiment corrigé les fautes du premier jet de ce texte ;)

Créée

le 19 févr. 2014

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Alfred Tordu

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