Steven(*) est gentil. Très gentil. Tout le monde le sait, alors quand il fait un film, le film est gentil aussi. Mais cette fois, Steven en a marre de cette image qui lui colle à la peau. Fini les histoires de gros requins, de gros dinosaures, d'aventuriers pas trop gros, maintenant il va entrer dans la cour des grands, des gens sérieux, il va faire un film sur l'holocauste.

Steven a eu une bonne idée. Il salive déjà à l'idée de réaliser son chef d'oeuvre, le film qui fera taire toutes les critiques, qui mettra tout le monde à genoux. Alors Steven commence à se documenter un peu sur le sujet, mais tombe très vite sur un os : lui est gentil, mais l'holocauste est méchant. Très méchant. Beaucoup trop en fait. Steven a peur. Il essaie de refiler la patate chaude à ses amis moins gentils que lui, mais ils refusent. Steven va devoir le faire, ce film.

Un soir, Steven travaille tard. Sur son bureau il a étalé son sujet, la Shoah. Il a beau la scruter attentivement à la recherche d'un angle d'attaque, il n'y voit que du noir, du noir très profond la plupart du temps. Il y a bien quelques endroits ou apparait un gris très foncé, mais c'est encore beaucoup trop terrifiant. Steven ne peut pas, ne sait pas faire un film aussi sombre. Alors il prend une loupe, et scrute méticuleusement chaque détail du monstre étendu devant lui. Ça y est, Steven a trouvé : invisible à l'oeil nu, subsiste au milieu de l'obscurité une faible lueur... Oh, elle n'est pas d'une blancheur ni d'une pureté parfaite, cette lueur, mais ça suffira pour faire le film. Et elle porte un nom : Oskar Schindler.

Quelque temps plus tard, Steven a fini son film. Tout le monde est tombé dans le panneau : Steven a réussi, envers et contre tout, à faire un autre film gentil, et quasi-personne ne l'a remarqué. Alors bien sûr, il a redonné de l'éclat à cette lueur qui n'en avait pas assez, il a gommé pas mal de nuances. Il a tourné plein de scènes très méchantes avec des nazis psychopathes pour bien montrer qu'il n'oubliait pas la face sombre de l'histoire, même si il aurait bien aimé. Du coup c'est pas très naturel, mais apparemment ça marche. Des fois il a pas pu se retenir d'être trop gentil, comme pour la scène des douches ou de la fabrication des pistons, mais que voulez-vous, on ne lutte pas contre sa nature...

Mais Steven sait qu'il est assez génial, sur ce coup-là : même ceux qui ont vu la supercherie trouveront leur compte dans "La Liste de Schindler", c'est trop bien foutu, l'émotion trop présente bien que forcée, les personnages trop bien joués bien que caricaturaux... Steven a bien fait son boulot, il a veillé à ce que le spectateur sorte sonné du visionnage, même avec l'impression désagréable de s'être fait rouler par le film. Pas mal. Mais au final Steven est toujours aussi énervant. Peut-être même plus...


(*) "Steven", ça fait un peu familier, je le concède. Au début je voulais l'appeler par ses initiales, mais pour la présente oeuvre, avouez que ça serait de mauvais goût...


P.S. : cette critique est affreusement mensongère, je sais que Spielberg a voulu faire un film sur Schindler qui s'est transformé en film sur l'holocauste, et non l'inverse. Ce petit arrangement n'invalide en rien mon avis, cela dit.
Norn
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Steven Spielberg

Créée

le 23 mars 2014

Critique lue 5.2K fois

56 j'aime

7 commentaires

Norn

Écrit par

Critique lue 5.2K fois

56
7

D'autres avis sur La Liste de Schindler

La Liste de Schindler
MatthieuS
10

Une œuvre à Oskar

Ce film multi-oscarisé traite de l’œuvre d’Oskar, homme contrasté qui finit par sauver la vie de plusieurs centaines de juifs de la solution finale échafaudée par la sauvagerie nazie. Et c’est le...

le 23 mars 2018

64 j'aime

22

La Liste de Schindler
Norn
5

Steven recherche Osk(c)ar(s)

Steven(*) est gentil. Très gentil. Tout le monde le sait, alors quand il fait un film, le film est gentil aussi. Mais cette fois, Steven en a marre de cette image qui lui colle à la peau. Fini les...

Par

le 23 mars 2014

56 j'aime

7

La Liste de Schindler
Fatpooper
3

"I like to make lists... that's why Steven chose me to do it" - Liam Neeson dans Life's too short.

En revoyant Shindler's list 11 ans après ma découverte à la télé, je comprends mieux le discours de Terry Gilliam autour du film: Spielberg semble passer outre l'horreur qu'était vraiment...

le 23 janv. 2012

44 j'aime

66

Du même critique

Focus
Norn
10

How could I forget... such a revelation ?

Si vous êtes tombé sur cette page au hasard de vos pérégrinations sur le site, que vous n'avez jamais jeté une oreille sur Focus ni même aperçu un jour les oranges chatoyants de sa pochette...

Par

le 14 août 2014

23 j'aime

21

L'Impossible Monsieur Bébé
Norn
5

Def Leppard

"Bringing up Baby" avait pourtant tout pour plaire : les demi-dieux Cary Grant et Katharine Hepburn à l'affiche, et un réalisateur talentueux, même si je suis assez loin de lui porter la même...

Par

le 18 mai 2014

12 j'aime

1

Lights… Camera… Revolution!
Norn
9

Welcome to the Church of Suicidal...

Deux ans après l'excellent "How can laugh tomorrow... when I can't even smile today", consommant de la plus belle des manières le mariage des "ST" avec le son Metal, la bande de Mike Muir persévère...

Par

le 21 nov. 2013

8 j'aime

2