Shyamalan et moi, c’est une rencontre assez récente. C’est Split qui m’a poussé vers lui, et Incassable et Glass à sa sortie. Je ne suis pas un inconditionnel des deux premiers, mais la sortie du dernier volet de la trilogie m’a définitivement rendu amoureux de cet univers déployé dans ces trois films, sa cohérence, ses personnages, son étrangeté, et ses messages qui me touchent tant : la place de l’étrange, du singulier, du conte, dans ce monde si policé et allergique à toute étincelle d’originalité, de créativité. Un monde de remake, remix, franchises à gogo, qui suit un cahier des charges, des normes. Il n’y a plus la place pour les marginaux (j’ai horreur de ce mot), l’enthousiasme de la découverte, la curiosité face à ce qui n’est pas usuel. Le monde a perdu de sa candeur, pensant avoir tout vu, tout écrit, tout accompli. Il n’en est rien pour Shyamalan en ce qui concerne sa candeur car candide il est, et candide il restera. Il fait partie de ces derniers combattants, bercés par leurs monstres et mondes d’étrange (avec Guillermo del Toro zum Beispiel, ou Lynch), luttant sans relâche pour le cinéma qu’ils aiment, et même le monde qu’ils aiment; innocent, bizarre, toujours à la frontière avec le conte si celui-ci ne décide pas d’envahir notre monde. Si noble combat que celui de trouver une place pour tout ça, les plus petits et fragiles d’une certaine façon, tant on cherche à les faire se sentir comme tels ces fameux “marginaux”. Je me suis donc tourné vers le reste de la filmographie du bonhomme, sentant qu’il y avait quelque chose de grand dans ce que celui qu’on appelle “Shy” avait à dire. Et me voilà devant cette Jeune fille de l’eau, détestée par le plus grand nombre, adulée par une minorité; j’ai hâte. Le début de la dégénérescence du réalisateur pour beaucoup, au même niveau que Phénomènes. Une heure et des poussières plus tard, je suffoquais, et c’est à peine une hyperbole. J’étais retourné, bouleversé, mais aussi paisible, serein, heureux quoi… J’ai sangloté encore quelques minutes après la fin, et surtout, toute cette féerie ne me quitte plus depuis plusieurs semaines. Je l’ai revu, re-revu. Je n’en reviens toujours pas que ce film puisse exister. Je suis tellement amoureux...
Cleveland, le gardien bègue, essaye tant bien que mal de faire tenir la quiétude dans son immeuble où cohabitent junkies, famille hispanique intégriste, critique cinéma, écrivain raté… A vrai dire il se cache, personne ne le connaît vraiment, sinon qu’il est utile lorsqu’il y a un problème chez soi. Il rencontre Story, une “Narf”, sorte de fée venue du Monde Bleu pour sauver les hommes, et elle a besoin d’aide. Avec elle arrive un monde de monstres, de fées, de contes totalement incroyables et farfelues, mais pourtant visiblement bien réel. Du moins, Cleveland lui a envie d’y croire.
Dans la totale continuité de Incassable ou Signes, *La Jeune fille de l’eau *s’interroge sur des grands sujets qui sont chers à son réalisateur : la nature, les croyances, le mystique, trouver sa place, le rôle du cinéma et de l’art en général, et notamment du réalisateur. La première forme littéraire qui a voulu traiter de ces sujets immenses, c’est le conte, la légende. Les premières pages de la Genèse sur la création, l'Odyssée, Pandore, etc… On essaye de transmettre ce qu’il y a de beaucoup plus grand que nous par le fantasque, la simplicité, la candeur. Oui, La Jeune fille de l’eau est un conte. Et comme un conte, La Jeune fille de l’eau est simple, les personnages sont guidés par des signes mystiques à travers l’intrigue, les Deus ex machina sont légion. Mais la simplicité n’est elle pas le meilleur des moyens pour s’interroger ? Ne dit-on pas que celui qui pense est celui qui s’émerveille comme un enfant, qui s’étonne comme un enfant, qui pose les questions avec la naïveté de l’enfant ? A ces questions pleines de candeur, de volonté de connaître tout, de tout savoir, il faut des réponses de la même veine. Alors oui, le film est simple, si simple qu’il m’émeut, tout comme la naïveté de Shyamalan qui veut à tout prix faire passer son message de liberté en se mettant lui même en scène comme un écrivain élu qui changera le monde par ces idées, et que l’on tuera sans doute pour ça. Je ne sais pas si c’est de la mégalomanie. Je ne pense pas. En fait je suis sûr que non. Mais Shy est simplement certain que son message est important. Non, le monde n’a pas encore tout vu et a encore droit à la créativité, de l’enthousiasme dans cette création. Il y a encore tant à découvrir, que ce soit par le film d’auteur, le blockbuster, le genre. Laissons tout ça s’exprimer, laissons un peu de place pour de la naïveté, des monstres, des sirènes, des bonshommes verts, des trucs beaux quoi… Parce que c’est ça que le monde doit garder. Après tout, c’est bien la Narf qui doit sauver les hommes. C’est bien en faisant accepter l’existence de ce monde si bizarre aux personnages que ceux-ci s’en retrouvent grandis.
Cet enthousiasme est si visible dans ce film. Une joie absolue de faire du cinéma en émane. Et quel bonheur de recevoir cette joie. Shy a de l’amour pour tout le monde dans ce film. Pour l’univers qu’il crée, pour le message qu’il porte, pour ses personnages. J’en ai encore la larme à l’oeil rien que d’y repenser. Peut-être est-ce parce que j’écris mes bêtises accompagné par la splendide B-O de James Newton Howard. J'ai dû utilisé 100 fois les termes "naïf", "candeur" ou équivalent, mais ça me paraît normal pour parler de ce film.
Bref, je suis content que ce film existe, et je suis si heureux de l’avoir rencontré ce film. J’ai l’impression d’avoir tellement d’autres choses à dire. Mais non, sinon que j’aime ce film, de tout mon coeur, que j’aime son réalisateur, et que j’aime sa façon qu’il a de transformer son film en sourire d’enfant, si spontané et naïf qu’il rassurerait n’importe qui.

PS: Je l’ai revu entre temps pendant l’écriture de ce texte. C’est une folie furieuse. Ce film doit sauver le monde.

FlavienDelvolvé
10

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Créée

le 13 juil. 2019

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