Passons très vite sur le titre français du film, complètement catastrophique et très exagéré sur le contenu de l’histoire et les comportements des différents personnages. Mieux vaut prendre le temps de savourer un film méconnu de King Vidor, injustement méconnu malgré la présence à l’affiche de « ténors des plateaux », d’un réalisateur qui n’en était pas à son premier film et était donc en pleine possession de son talent.

Ruby Gentry (titre original), c’est l’histoire de Ruby, une jeune fille de ferme belle et insaisissable qui rêve à la fois du grand amour et de sortir de sa condition sociale. Son air mutin et aguicheur amuse les hommes qui l’entourent autant qu’il les rend fous de désir pour elle, ceci quel que soit leur âge. Garçon manqué de nature, elle reste capable de se parer d’une magnifique féminité dès que l’art de la séduction le lui impose. Trois mouches tournent autour du pot de miel, il y a Boake, l’héritier d’un domaine familial, dont elle éperdument amoureuse mais qui, promis depuis l’enfance à une autre, préfère ce mariage arrangé. Il y a Jim, riche industriel qui vient de la même classe sociale que Ruby et il y a le docteur Corey, narrateur de l’ascension et de la chute de Ruby qui assiste en spectateur impuissant à la succession implacable des événements.

Les seuls acteurs auraient dû valoir à ce film une plus grande reconnaissance, Charlton Heston y promène déjà un physique hors normes et ce visage tout à la fois séducteur mais armé de cette mâchoire qui lui donne cet air si dur. Karl Malden, celui qu’on oublie toujours sait se faire tour à tour agneau, furibond ou rempli de détermination. Il a ce regard perçant capable de figer de terreur. Mais il y a surtout une Jennifer Jones inoubliable, parfaite dans cette fille de ferme aux airs de tornade brune et sauvage, diablement désirable en jeans et chemise à carreaux et qui pousse à se damner quand elle enfile une robe de soirée. Elle est merveilleuse en femme fatale aux désirs partagés entre la réussite sociale et l’amour. Mais ce côté sauvage qui quoi qu’il arrive, sommeille en elle, reprend le dessus quand elle s’aventure à se laisser guider par des calculs plutôt que par sa nature.

L’histoire que King Vidor met en scène est belle et filmée avec maîtrise et une intense créativité. S’il n’y pas à proprement parler de mouvements de caméra novateurs, sa créativité se situe plutôt dans de nombreux plans d’une grande beauté qui viennent appuyer l’histoire et laissent rêveurs face à une beauté classique qui semble éternellement indémodable. Tout l’art Hollywood est là, les grandes émotions, les sentiments qui déchirent les individus, les regards expressifs et langoureux et la musique qui vient porter les amoureux tel un hymne aux amours immortelles.

Tout est fait pour rendre heureux les cinéphiles et les autres, des acteurs beaux et biens dans leurs rôles, un réalisateur au sommet de la beauté de son art, une ode à la liberté d’esprit, une histoire d’amour torturée et déchirante d’injustice et enfin une musique qui s’enfile comme en gant autour d’une main délicate à la peau si douce. Hollywood a connu trois décennies d’Âge d’Or, Ruby Gentry en est une des pépites affichant un nombre incalculable de carats.
Jambalaya
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le 13 mai 2013

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Jambalaya

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