Un Guillermo Del Toro nommé treize fois aux Oscars, vraiment ? Je ne sais pas quelle mouche a piqué l’Académie cette année, même si je ne boude pas mon plaisir. Notre ami mexicain a beau nous livrer son film le plus « classique », hommage des plus soignés aux films de monstres à l’ancienne, ça n’en reste pas moins du pur Del Toro avec une femme qui tombe amoureuse d’un batracien géant, des dialogues crus et de la violence pas exactement tout public. Par-dessus ça, les personnages principaux sont tous plus ou moins des solitaires, exclus à cause de leurs différences, quand les personnages secondaires « normaux » ont une vie assez éloignée du rêve américain. Tout pour être snobé en somme, donc soit j’ai raté quelque chose, soit les Oscars font enfin des efforts s’ouvrir à autre chose que des biopics et autres drames « inspirés d’une histoire vraie ».


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L’œuvre de Del Toro est infusée de son amour pour les rejetés, les « outcasts », qui sont souvent montrés comme mis à l’écart pas une société dysfonctionnelle et non l’inverse. Le fait que l’héroïne trouve l’amour et le réconfort dont elle manquait tant avec une monstre jugé horrible par ses employeurs est on ne peut plus parlant. De la même façon, on pourra voir dans la fameuse franchise de magasins de tartes, où les employés doivent renier leurs origines et changer d’accent, une certaine critique de l’usine à blockbusters formatés hollywoodienne (« C’est un restaurant familial, ici »). Les années 60 sont ici recréées avec force détails, mais surtout avec un curieux mélange de nostalgie et d’amertume qui fonctionne parfaitement, quitte à avoir parfois la main lourde sur la critique. La bande originale, les multiples hommages au cinéma, un certain passage dansé, entres autres, concourent à présenter dans un écrin satiné et joyeusement rétro-futuriste (on pensera parfois à Bioshock) une société américaine pétrie d’interdits et de malaises.


Si je parle beaucoup de cet aspect, c’est probablement parce que j’ai trouvé que c’était un des points les plus réussis du film. En comparaison, la créature passerait presque au second plan par rapport aux personnages humains, ce qui m’amène à mon seul reproche : je n’ai pas trouvé la relation autour de laquelle tourne le film si émouvante que ça. L’intrigue comporte beaucoup de personnages secondaires, qui permettent entre autres d’apporter une bonne dose d’humour et de suspense, mais en contrepartie sont plus souvent présents à l’écran. Difficile de s’en plaindre, Octavia Spencer est irrésistible, Michael Shannon terrifiant et pathétique à la fois comme à son habitude dans ce genre de rôle, et Michael Stuhlbarg incarne parfaitement le scientifique taiseux aux bonnes intentions.


On appréciera donc le rythme impeccable et les différents rebondissements, cherchant plus à rendre un bel hommage aux films de l’époque qu’à nous surprendre, les splendides décors et l’ambiance faussement chaleureuse, qui nous mène à un dernier tiers nettement plus dense en action. Me voilà maintenant curieux de savoir si Del Toro va continuer sur cette trajectoire assagie, qui lui vaut semblerait-il une certaine reconnaissance.


C’est aussi à mes yeux une de ses forces en tant que réalisateur, il est d’une sincérité et d’un enthousiasme débordants, touchant à tout, du drame fantastique pendant la guerre civile espagnole au film d’horreur, en passant par les robots géants et les super-héros, sans oublier qu’il aurait pu (ou dû) adapter le Hobbit. Del Toro jongle avec tellement de projets qu’il est toujours à peu près impossible de savoir lequel sera son suivant. Le présent film sortait presque de nulle part en termes de rumeurs, alors qu’à côté son adaptation des Montagnes Hallucinées de Lovecraft semble au point mort, qu’Hellboy s’apprête à être rebooté et que Pacific Rim a une suite qu’il ne réalise pas, autant dire qu’à ce stade là je me contente d’attendre les annonces officielles.


Finalement, une des principales forces de La Forme de l’eau est de parvenir si bien à faire une synthèse de tous ces genres et classiques qu’il affectionne tant sans livrer un hommage creux (coucou la nostalgie des 80’s, c’est bien de toi que je parle), mais au contraire une œuvre aussi référencée que complète, qui soit accessible au grand public tout en donnant envie de découvrir ses inspirations. Après avoir vu ce film, difficile de ne pas penser que c’est à lui qu’on aurait dû confier le reboot des Universal Monsters, qui n’aurait pas eu de mal à être plus sincère et respectueux que le travail de tâcheron effectué sur La Momie, dont l’existence a déjà été oubliée.

blazcowicz
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le 2 mars 2018

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