"Les bons sentiments et les justes causes ne font pas forcément les bons films. Développez et illustrez cette phrase du grand critique aujourd'hui sénile Pokespagne. Vous avez 2 heures et 8 minutes".


Thèse : Le fait de traiter au cinéma une "histoire vraie", qui plus est récente et donc encore à l'esprit des spectateurs - dans ses grandes lignes tout au moins - dédouane les scénaristes du moindre effort de construction de personnages et de situations crédibles. Des clichés sont amplement suffisants puisqu'ils confortent naturellement nos convictions profondes quant à un monde en noir et blanc : les méchants laboratoires pharmaceutiques obsédés par le profit utilisent forcément des méthodes abjectes pour museler les vaillants et intègres défenseurs de la santé publique, tandis que l'administration française est trop lourde, incompétente, frileuse et infiltrée par les lobbyistes, pour réagir avant d'être mis devant des preuves irréfutables. Mais à la fin, après la mort d'une pauvre femme obèse et après maintes crises de nerfs, la Vérité gagne la partie. Comme le monde est mauvais, il restera encore du boulot pour faire cracher au bassinet les coupables, mais mari aimant et patient, et enfants admiratifs et musiciens aimeront éternellement leur mère fantastique, qui n'a jamais eu peur d'aller nager l'hiver dans les eaux glacées de la Bretagne malgré ses angoisses et sa claustrophobie. D'un autre côté, on peut prendre une improbable vedette de la télé danoise pour interpréter une Française, sans prendre la peine de le justifier : elle apportera avec elle la crédibilité en termes d'intelligence et de combativité associée à son personnage de série politique, il n'y a nul besoin d'explication. Elle pourra même se ridiculiser à tout jamais en adoptant en permanence un jeu à la fois histrionique et incohérent que nul ne prendra la peine de s'en soucier : qui a besoin d'efforts d'interprétation quand on veut des symboles faciles à comprendre ? Comme le spectateur moderne est abreuvé de cinéma US et est impatient, on va filmer tout cela en multipliant les effets "modernes", les mouvements de caméra passe-partout et ineptes : au diable rythme narratif et éthique de mise en scène, notre beau souci de "justice" ne s'embarrasse pas de ce genre de considérations.


Antithèse : Revoyez "Erin Brockovich" de Soderbergh pour comprendre combien le talent ajoute de crédibilité - et d'efficacité - à ce genre d'histoires.


Synthèse : "La fille de Brest" est une horreur, supportable seulement par petites doses de 30 minutes maximum, au format d'une médiocre série télé de chez TF1. Et nous ne pourrons plus aller voir un film avec la jolie Sidse Babett Knudsen sans un pincement d'angoisse au coeur, en sachant qu'elle peut ainsi faire du n'importe quoi en roue libre. Il y a de quoi en vouloir à l'ineffable Emmanuelle Bercot, sans parler de la honte qu'a dû ressentir la veritable Irène Frachon en voyant son épopée citoyenne ainsi caricaturée à l'écran.


[Critique écrite en 2018]

EricDebarnot
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le 17 déc. 2018

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