Alors que les frères Dardenne viennent de suivre la quête obsessionnelle d’un médecin (Adèle Haenel) dans La Fille inconnue, Emmanuelle Bercot nous livre à son tour un combat de femme-médecin à travers son 5e long métrage, La Fille de Brest. Le film, vissé au regard d’Irène Frachon, médecin de Brest qui s’est battu pour faire retirer le Médiator (un médicament coupe-faim) du marché du médicament dès 2009, est tel un film de guerre ou plutôt un thriller, mais surtout d’une profonde humanité.


Ce film de commande est pour Emmanuelle Bercot né de sa rencontre avec Irène Frachon, personnage qu’elle décrit comme « haut en couleurs ». C’est d’ailleurs à partir du livre de cette femme-médecin, Médiator, 150 mg et de son sous-titre un temps censuré « combien de morts ? », qu’Emmanuelle Bercot tire le ton du film : combatif. Elle dessine le portrait d’une femme énergique, qui n’a rien à perdre et portée toute entière à faire éclater la vérité. A ce jeu-là Sidse Babett Knudsen (Borgen, L’Hermine), interprète principale, s’en sort brillamment, n’hésitant pas à ajouter une dureté au personnage. On a donc plaisir à voir ce personnage féminin fort, soutenu par ses proches, ne pas laisser tomber. Si elle peut parfois heurter dans sa relation avec le professeur Le Bihan (part la plus fictionnalisée par Bercot), médecin plus discret et humaniste, c’est une femme qui n’a pas peur de sortir « sa bite et son fusil » et d’aller au front malgré les pressions et la peur. D’abord petite chenille apeurée, elle éclot peu à peu en même temps que la vérité. Pour reprendre les termes d’un récent film sorti sur nos écrans, Divines, ce personnage féminin a clairement « du clitoris » et ne s’en prive pas pour agir et sauver des vies


Les combattants


Côté « histoire vraie », si le film de Bercot est très bien documenté, il n’en ressort pas un simple film-dossier un peu longuet, mais aussi une véritable investigation à l’américaine, ultra rythmée, musique à l’appui. Quelques longueurs se font sentir, mais en sortant du film, on retient clairement l’énergie et la révolte plus que ces dites longueurs. Pas de temps morts pour cette combattante de la lumière et ses soutiens de l’ombre (tous les protagonistes rencontrés par Bercot son présents dans le film qui a mis quatre ans à voir le jour). Les premières scènes du film donnent d’ailleurs le ton. On y voit Irène Frachon alias Sidse Babett Knudsen nager dans une mer agitée avant de la retrouver courant dans les couloirs d’un hôpital (le CHU de Brest, un temps moqué par les laboratoires Servier). Le film alternera d’ailleurs avec des moments plus humains, en consultation où Irène prend soin des autres. Grande gueule et humaniste, voilà comment Emmanuelle Bercot a choisi de décrire Irène Frachon.


Corps à corps à cœurs ouverts


La Fille de Brest est viscéralement tourné vers l’humain, tant qu’il cherche à faire vivre au spectateur la douleur du médiator jusque dans la chair. La réalisatrice ne se contente pas de filmer l’enquête, les doutes, les peurs, les succès et le sourire de Sidse Babett Knudsen comme ses coups de gueule bienvenus, elle donne aussi à voir les corps et les coeurs meurtris. Le film commence sur Irène Frachon mais aussi sur une scène de chirurgie filmée frontalement. De quoi mettre le spectateur tout entier dans l’ambiance. Emmanuelle Bercot est fille de chirurgien cardiaque et il n’est pas malvenu de dire que La Fille de Brest, qui rend aussi hommage à cette ville pluvieuse, forte et magnifique à la fois , bat à cœur ouvert du début à la fin.

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le 29 oct. 2016

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