Avec ‘La fille d’Albino Rodrigue’, Christine Dory adapte un fait divers sinistre et brosse le beau portrait d’une adolescente en quête de vérité. Pourtant et en dépit d’excellentes interprétations et d’une mise en scène inspirée, quelque chose ne prend pas. Le film reste en surface et ne décolle pas.


Rosemay, 16 ans, vit en famille d'accueil et ne rejoint sa famille biologique que pour les vacances. Un jour, son père n’est pas là pour l’accueillir comme prévu. D’ailleurs, il ne réapparaît pas et semble s’être évaporé. Ses questions ne rencontrant que des mensonges, Rosemay ne peut se fier qu’à son intuition.


Le sujet est bien sûr passionnant. Une jeune fille s’interroge sur l’absence de son père biologique. Elle recherche la vérité, réclame au procureur l’ouverture d’une enquête car son frère et sa mère semblent lui mentir. Ce qui nous accroche également, c’est notre fascination morbide pour les faits divers incompréhensibles et sinistres. Voir le grand intérêt que l’on porte pour les Jean-Claude Romand, les Xavier Dupont de Ligonnès et autres.


Ce que Christine Dory réussit très bien à faire, c’est filmer, montrer un milieu social. Notre héroïne est d’un milieu social difficile mais pas totalement modeste. Disons, classe moyenne un peu aisée. C’est-à-dire un entre-deux où l’argent ne coule pas à flot mais matériellement, la vie était relativement confortable. La maison semble confortable, assez spacieuse avec un beau jardin. Pourtant ce qui manque clairement à l’héroïne, et la cinéaste le rend extrêmement bien, c’est l’amour, l’affection familiale. Sa mère est toxique, son frère aîné est un délinquant. Elle manque de repères, de stabilité que même sa famille d’accueil aimante ne parvient pas à combler.


J’ai également beaucoup aimé la réflexion qu’il y a eu autour des personnages. Nous avons déjà évoqué la fille. Mais par exemple, la mère est un personnage très complexe. Elle semble prise dans ses mensonges et tente de maintenir sa « vérité » à tout prix. Elle manipule sa fille, l’enferme chez elle, lui interdit de répondre au téléphone. Cette mère toxique est dépeinte avec subtilité et sans aller jusqu’à dire qu’on a parfois de l’empathie pour elle, on imagine aisément que sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Christine Dory ne fait pas dans le manichéisme. Sa mère d’accueil peut par exemple se montrer d’une dureté certaine. Mais elle fait preuve d’autorité saine, en opposition à la mère biologique qui fait elle preuve d’autorité abusive.


J’ai trouvé les interprétations remarquables. Dans le rôle principal, Galatea Bellugi apporte une bizarrerie, une étrangeté à son personnage. On la sent à la fois frêle et déterminée. Emilie Dequenne est époustouflante dans le rôle de sa mère. Loin du rôle de mère aimante qu’elle jouait dans ‘Close’ de Lukas Dhont, elle est ici d’une méchanceté, d’une perversité. Elle ment sans cesse à sa fille qui tente de la confronter. Matthieu Lucci apporte beaucoup de dureté, de rugosité à son personnage, comme le sont ces personnes qui n’entrevoient pas d’issues à leur situation. Et quelle joie de revoir Romane Bohringer, comédienne rare donc chère.


Et pourtant, malgré toutes les qualités mentionnées ci-dessus, quelque chose ne prend pas, ne décolle jamais. On aurait pu penser qu’avec une tel fait divers, la cinéaste sortirait un peu plus de tragique de son matériau. Car cette histoire m’a semblé à certains égards relever de la tragédie. La quête du père, la mère malfaisante, l’enfermement dans un milieu social, dans un milieu familiale. Malheureusement, Christine Dory se contente de filmer son fait divers sans réelle distance, sans vrai point de vue. Elle reste au premier degré. C’est dommage, car le film est globalement de bon aloi.

Noel_Astoc
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le 8 juil. 2023

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Noel_Astoc

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