La poésie brocanteuse de La Cité des enfants perdus, qui cultive la bizarrerie d’un lieu, la déformation des angles, l’hétéroclite des objets, le décalage des costumes – en particulier le phénomène de foire habillé d’un pull en laine qui se défait tel le fil d’Ariane dans un labyrinthe industriel – ne laisse pas assez d’espace au spectateur pour y projeter sa propre sensibilité. Un effet de saturation esthétique croît à mesure que s’enchaînent les péripéties, et cela nuit à son immersion : il ressemble ainsi à l’antagoniste qui vole les rêves des autres par incapacité à rêver lui-même. Dit autrement, l’imaginaire de Jeunet et Caro n’ouvre pas assez de zones de flottement qui seraient autant de prises pour le public, et dans lesquelles engouffrer ses désirs, ses peurs et ses espoirs ; il diffèrent en cela de Querelle (Rainer Werner Fassbinder, 1982), drame portuaire qui se saisissait de l’attente comme d’un temps d’exploration identitaire à mi-chemin entre rêve et réalité. Le film souffre de longueurs, réhaussé par les premières et dernières vingt minutes remarquablement mises en scène, qui trouvent un dynamisme adéquat et une confusion des tonalités des plus singulières. Quelques scènes restent en mémoire, à l’instar d’un chant de Noël déclamé par un Père Noël psychopathe à une horde de bambins terrifiés. Une curiosité absurde qui vaut davantage pour le superbe livre de plans composé que pour la capacité des images à signifier et à assurer la marche du récit. Sans oublier la très belle partition musicale d’Angela Badalamenti.

Créée

le 21 mars 2024

Critique lue 4 fois

1 j'aime

Critique lue 4 fois

1

D'autres avis sur La Cité des enfants perdus

La Cité des enfants perdus
Gand-Alf
8

La science des rêves.

Coproduction entre la France, l'Allemagne et l'Espagne, La cité des enfants perdus est le second long-métrage du duo Marc Caro / Jean-Pierre Jeunet, mais aussi le dernier à ce jour, Jeunet répondant...

le 30 mars 2016

47 j'aime

2

La Cité des enfants perdus
Plume231
7

Le Voleur de rêves !

On ne peut pas dire que Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro ont fait des films hyper-conventionnels. Delicatessen est un film d'humour noir d'anticipation complètement loufoque portant de bout en bout...

le 7 févr. 2022

29 j'aime

3

La Cité des enfants perdus
youli
9

La Cathédrale du duo perdu

Le deuxième long-métrage du regretté tandem Jean-Pierre Jeunet / Marc Caro (après Delicatessen) est le lieu d'une très grande richesse plastique, au service d'un mélange d'atmosphères de contes pour...

le 4 févr. 2012

23 j'aime

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14