La poésie brocanteuse de La Cité des enfants perdus, qui cultive la bizarrerie d’un lieu, la déformation des angles, l’hétéroclite des objets, le décalage des costumes – en particulier le phénomène de foire habillé d’un pull en laine qui se défait tel le fil d’Ariane dans un labyrinthe industriel – ne laisse pas assez d’espace au spectateur pour y projeter sa propre sensibilité. Un effet de saturation esthétique croît à mesure que s’enchaînent les péripéties, et cela nuit à son immersion : il ressemble ainsi à l’antagoniste qui vole les rêves des autres par incapacité à rêver lui-même. Dit autrement, l’imaginaire de Jeunet et Caro n’ouvre pas assez de zones de flottement qui seraient autant de prises pour le public, et dans lesquelles engouffrer ses désirs, ses peurs et ses espoirs ; il diffèrent en cela de Querelle (Rainer Werner Fassbinder, 1982), drame portuaire qui se saisissait de l’attente comme d’un temps d’exploration identitaire à mi-chemin entre rêve et réalité. Le film souffre de longueurs, réhaussé par les premières et dernières vingt minutes remarquablement mises en scène, qui trouvent un dynamisme adéquat et une confusion des tonalités des plus singulières. Quelques scènes restent en mémoire, à l’instar d’un chant de Noël déclamé par un Père Noël psychopathe à une horde de bambins terrifiés. Une curiosité absurde qui vaut davantage pour le superbe livre de plans composé que pour la capacité des images à signifier et à assurer la marche du récit. Sans oublier la très belle partition musicale d’Angela Badalamenti.