Le vrai monstre est derrière l'écran

Byron Orlock (Boris Karloff), vieux croquemitaine du cinéma bis annonce sa retraite à ses producteurs, qui comptent pourtant lui faire faire un dernier tour de piste. Flanqué de sa magnifique assistante (Nancy Huseh), il décline les assauts répétés d'un jeune scénariste aux dents longues Sammy Michaels (Peter Bogdanovich). A l'autre bout de la rue, Bobby Thompson ( Tim O'kelly) tient dans sa ligne de mire cette star du cinéma horrifique.

Il est des films dont la puissance d'évocation fluctue en fonction des périodes traversées. Targets en fait partie. Tourné en 68 aux USA, un pays à la longue histoire de violence par armes à feu, cette production Corman a vue son lancement retardé en raison des assassinats de Luther King et de Robert Kennedy. Et entre deux tueries qui ternissent l'actualité, le film a récolté un petit succès d'estime et au box office.

Et voir Targets en 2023 en France créait son petit malaise. Etant heurté chaque jour par des faits divers toujours plus sordides, des massacres divers et variés allant du démembrement de corps d'enfant, à l'attaque au couteau pour motif religieux en passant par les cartons au fusil pour des histoires de voisinage. J'avoue que le sujet et la mise en scène provoquent leur effet sur moi. Bien plus que si je l'avais vu en 93. Et ce froid réalisme m'angoisse infiniment plus que les torrents d'hémoglobines provoqués par des créatures imaginaires (Smile, Barbares...). C'est d'ailleurs explicitement montré dans le film, quand Sammy regarde la une d'un journal qui titre sur un coup de folie.

Cette proximité avec l'horreur au quotidien rend le visionnage de ce genre de film particulièrement perturbant. Car si l'on suit l'adage, "l'art imite la vie", on peut affirmer sans se tromper que l'actualité s'inspire du film d'horreur. Bogdanovich se garde bien d'avancer une quelconque explication à cette folie meurtrière, car le passage à l'acte n'est pas le sujet du film. Et Bobby Thompson, un jeune homme bien sous tout rapport qui développe une obsession pour la gâchette n'a pas de raison apparente de tuer ses proches. Si l'interdiction des armes à feu limiterait bien des drames, on peut aussi penser sans trop se tromper que les types comme Bobby sont avant tout animés par une pulsion de mort, et qu'il existe bien façons de satisfaire ses envies. Un vaste problème qui dépasse donc les législations nationales et autres interdictions.

La dérive meurtrière de Bobby est bien plus terrifiante que les scènes horrifiques qui peuplent la carrière de Byron Orlok, vieille gloire du cinéma fantastique. Une ganache quelque part entre le parrain du crime roumain et Omar Sharif dans une pub pour Tiercé Magazine, autant dire qu'il fait sursauter tout le monde.

C'est peut être ce qu'à voulu montrer Bogdanovich. Le conditionnement à la peur grâce au cinéma. Dans la rue, on pourrait croiser Fourniret sans relever un cil, s'il ont ignore tout de sa monstrueuse existence ; et dans la même rue mal éclairée, sursauter devant un Boris Karloff ou Michael Berryman, probablement des gens adorables dans la vie. La confrontation entre Byron et Bobby se faisant fatalement dans un cinéma, un lieu où la violence symbolique et réelle se rejoignent parfois.

Targets est une sacrée réussite, bien plus prenante que d'autres baudruches sur le sujet que je ne citerai pas car c'est une résolution de 2023, moins chier sur Gus Van Sant cette année, je crois que je peux le faire.

Negreanu
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le 21 mars 2023

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