Tout est là, toute l'oeuvre de Verhoeven est présente dans l'un de ses premiers films américains : le provocant, le sulfureux, le violent, le sang, le sexe.


Verhoeven a eu l'intelligence de situer son oeuvre dans une époque que l'on pourrait qualifier de bâtarde (à l'image de ce groupe de mercenaires décadents) : entre une fin du Moyen-Âge encore fraîche et le début de l'époque moderne en 1501. Ce qui permet au réalisateur néerlandais de s'amuser avec le progrès de l’époque, et aussi de montrer l'usage expérimental d’une nouveauté d'époque ...la poudre. Au début du film, lors de l'attaque d’un château, un soldat pousse un gros tonneau de poudre vers le pont-levis mais se retrouve malgré lui dans un rôle de kamikaze et explose. Arnolfini, le capitaine et ses mercenaires regardent la scène, et quelqu'un dit "suivant!" Tout le monde éclate de rire... Séquence qui relève de la farce grinçante, humour anglais parfait dans la grande tradition de celle des Monty Pythons.


Dans une autre séquence, la princesse Agnès (Jennifer Jason Leigh) ordonne à sa servante de lui montrer "comment faire avec un homme" (...) ; cachée derrière les buissons, elle observe sa bonne forniquer avec un soldat, puis lui incombe finalement de stopper son élan en plein coït. Cette scène, qui annonce bien des séquences de Basic Instinct, entre autres par son caractère purement voyeuriste, est en quelque sorte un viol, au sens où la bonne dit "ne pas avoir envie" mais est contrainte au sexe par sa maîtresse. Suite à une embuscade, la jeune Agnès est enlevée par le groupe de mercenaires et est contrainte à son tour au sexe, mais avec plus de sauvagerie, violée par chacun des hommes du groupe. Au début, elle est contrainte, semble tout doucement reprendre le dessus sur son violeur (Martin) qui feigne d'apprécier l'acte forcé, puis domine complètement les ébats, ce qui suscite les moqueries des camarades du dominant se retrouvant subitement dominé. Critique du mâle dominant, souhaitant montrer sa puissance mais qui se retrouve éjaculateur précoce. Agnès dévoile alors une certaine ambiguïté : est-elle réellement fascinée par son amant-tortionnaire ou est-ce une manipulation réfléchie pour mieux fuir le groupe de mercenaires ? De fait, elle dit de Martin qu'il est tout simplement "Steven" (son prince avec qui elle est censée se marier) mais "en plus vieux" et que le dit Steven n'est que "Martin en plus jeune". Manipulation?


L'une des nombreuses autres richesses du film se trouve dans l'usage que fait Verhoeven de la peste : d'abord vue comme une maladie, elle est ensuite appréciée comme une arme (des bouts de chair d'un chien, mort de la peste, balancés par une catapulte au-dessus des remparts d'un château - magnifique!), et est peut-être utilisée comme la métaphore de la propagation d'un autre "mal" (au sens catholique) : le sexe peut-être? A la toute fin du film, les soldats d'Arnolfini veulent coucher avec une prostituée du groupe de mercenaires. Même si celui-ci est décimé, elle semble prête à reprendre du poil de la bête, et dit simplement à ses prétendants en riant : "ce n'est pas gratuit".


Verhoeven s’amuse sur tous les fronts, le religieux comme la politique. Dans une séquence très drôle, deux femmes du groupe de mercenaires se disputent pour une belle robe, trouvée dans le butin récolté après une embuscade. Pour régler le problème, le cardinal, membre à part entière du groupe, propose à ses camarades de s'habiller avec les mêmes vêtements ...tous rouges. Bien plus tard dans le film, Martin se permet l'audace de s'habiller en blanc, moment qui soulève les premières tensions qui conduiront indirectement, en plus de la cupidité de ses membres, à la fin du groupe. Verhoeven fait-il une parodie du communisme qu'il présente là comme la panacée au matérialisme et à l'individualisme, et en même temps, présente l'évolution des mentalités de l’époque comme une farce.


Un grand film, qui en plus d’être drôle, est puissant.

ErrolGardner
8
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le 12 mars 2013

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Errol 'Gardner

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