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Troisième long-métrage de Richard Berry. Après avoir pondu deux comédies moyennes qui n'auront à aucun instant ne serait-ce qu'effleurer l'essence de ce genre de cinéma, l'acteur converti en réalisateur s'attaque au thriller psychologique. C'est certainement mieux que ce qu'il a pu faire avant, mais cela reste encore très bancal. En réalité, « La Boîte noire » m'a fait ressentir exactement le même sentiment que lors de mon visionnage d'« Event Horizon » de Paul W.S Anderson. C'est-à-dire que l'idée de départ est très prometteuse et que le potentiel est irréfutable, mais le traitement est affligeant de misère. L'écriture, le découpage et la mise en scène ne sont pas à la hauteur du postulat pourtant plein de promesses.


Les faiblesses narratives se laissent voir assez rapidement. Dans un premier temps, l'intrigue part un peu dans tous les sens en lançant diverses perches qui jamais n'aboutiront. Le départ est intrigant et suscite l'attention puisqu'il est question de perte d'identité, le protagoniste ne sait plus qui il est mais a confié durant sa phase de coma délirant toutes ses pensées à une infirmière qui a scrupuleusement tout noté dans un carnet. Il ne sait pas où il se trouve et semble très surpris lorsqu'il apprend le lieu de son accident. Que faisait-il ici ? Il y a une enquête policière. Un frère disparu. Un potentiel assassin. Mais que se passe-t-il ? On est alors en proie à l'imagination : qui est cet homme ? Est-ce un espion ? Est-ce un criminel en fuite ? Est-il poursuivi ? On envisage peut-être un « La Mémoire dans la peau » à la française - ne riez pas svp - ou bien encore un « Sans identité » avant l'heure. Les possibilités sont jusqu'alors très nombreuses.


Cependant, arrivé en milieu de film : révélation. Le protagoniste se réveille sur son lit d’hôpital, il était dans le coma depuis 45 minutes. Berry nous a fait un 50/100 sur l'échelle de Jacob. Finalement, tout cela n'était que des manifestations de sa fameuse boîte noire par laquelle les informations, qui réunies constituent son identité et sa mémoire, entrent et sortent sans jamais qu'il puisse voir ce qu'il y a à l'intérieur. Chaque élément que l'on a pu observer jusqu'ici est une pièce d'un immense puzzle final. Les noms, les personnes, les lieux, les actes... tous ont une signification. La boîte noire est ici tout simplement la métaphore de l'inconscient, insondable dans un état de conscient dit normal. Seul un état de transe provoqué par une hypnose, une intense méditation ou bien l'usage de psychotrope permet d'entrouvrir les portes impénétrables de l'inconscient. Nous avons d'ailleurs le droit à une affreuse scène d'expérience psychique sous psychotrope très mal filmée qui cristallise à elle-seule tous les problèmes de réalisation du début.


En effet, la césure en milieu de film marque un cap en termes de direction artistique et nous libère de cette mise en scène et de cette photographie boursouflées d'effets et de filtres superflus. C'est donc un soulagement de ne plus voir ces filtres verdâtres et grisâtres vraiment impertinents pour tenter de créer artificiellement une ambiance angoissante et malsaine. Il en est de même pour tous ces effets de style et quelques images de synthèse qui dénotent avec le reste, plus sobre. Bon débarras. Même remarque pour l'usage excessif et pas vraiment justifié de la caméra tremblante et du sur-découpage pendant la première moitié du métrage. Tout simplement insupportable et simpliste. Malheureusement, si la réalisation est plus appréciable en seconde partie, c'est au tour de l'écriture et de la tension narrative de flancher. L'intrigue était tout azimut, certes, mais cela avait au moins le mérite de créer des enjeux possiblement importants. Mais ce revirement soudain dévoile des thématiques et des enjeux bien plus prosaïques : un accident de voiture il y a 30 de cela. Évidemment, la tension est en chute libre. Le grand puzzle semble tout de suite bien moins impressionnant et l'intérêt que l'on pouvait lui porter s'affaiblit.


L'intrigue s'étiole inexorablement au fur et à mesure que le scénario bancal et maladroit avance. Arthur Seligman poursuit son enquête obsessionnelle à la recherche de ses propres souvenirs jusqu'à la fin. Arrive alors le final comme un cheveu dans la soupe. Un Deus ex machina des plus sublimes, véritablement sorti de nulle part. On aurait jamais pu deviner qui était le responsable de l'accident tant c'est insoupçonnable et incohérent. Et puis parlons-en de cet accident : qu'est-ce que c'est que cette mise en scène ? Une route isolée de montagne, une falaise, un vélo, une Jeep noire, un arbuste sans feuille dont les branches surplombent le vide, un enfant accroché tel Tarzan au-dessus du précipice mortel, un autre enfant caché derrière un buisson... qu'est-ce que c'est que ce bordel de scène de crime de merde ? Ridicule. Et le mec qui au lieu d'aider l'enfant suspendu qu'il vient de projeter hors de la route se dit que c'est peut-être mieux de le faire tomber, genre en lui balançant dessus son vélo... Ridicule. Tout ça pour apprendre qu'en fait le méchant chauffard est le médecin en charge de Seligman après son accident de voiture, alias l'enfant survivant, lui-même témoin de la scène. Médecin, initialement psychiatre du protagoniste dans sa phase délirante. Cela n'a aucun sens. Où sont les liens entre les différents éléments de l'intrigue ?


Le problème majeur de « La Boîte noire » est de se contenter d'essayer vainement de réutiliser, mais sans rien plagier, des concepts et des idées que d'autres longs-métrages ont déjà exploités mille fois mieux. En définitive, le film de Berry n'a pas grand chose à offrir à part des ébauches et autres brouillons d'idées géniales très mal traitées. En ce qui concerne la perte de mémoire et la recherche de réponses, « Memento » de Nolan demeure cent fois au-dessus. « Identity » de Mangold exploite bien mieux l'enquête introspective et la cohabitation entre conscient et inconscient dans le genre du thriller psychologique. Quant à quête obsessionnelle et le traitement psychologique de l'enquêteur, on peut citer « Le nombre 23 » de Schumacher, ou bien dans une moindre mesure « Prisoners » de Villeneuve qui sont quand même bien meilleurs dans le domaine. En soit, tout est moyen ici, la forme - surtout dans la première moitié du film - mais aussi, bien évidemment, le fond. Cela manque de maîtrise technique, d'impact, d'enjeux et de tension. L'écriture dramaturgique est très faiblarde. La cohérence et la fluidité entre les différents nœuds narratifs sont aux abonnés absents.


Et en ce qui concerne les personnages, le résultat est très inégal. En fait, il y a surtout José Garcia qui n'est pas du tout ridicule dans le rôle du névrosé amnésique, et puis tous les autres personnages qui gravitent vaguement autour. Le récit est vraiment centré sur Arthur Seligman, les autres protagonistes ne sont que des personnages secondaires, parfois à deux doigts de la figuration. Par conséquent, en dehors de la tête d'affiche, on se moque carrément de ce que les autres peuvent faire, c'est anecdotique. Sans parler du fait que le film ne laisse presque pas de place aux personnages féminins. Il y en a plusieurs et pourtant ils ne sont jamais exploités. En toute franchise, à quoi servent Marion Cotillard et Helena Noguerra à part se faire sauter dans un parking souterrain sentant l'urine et sur une table basse ? À rien. Heureusement que Garcia sait garder la tête hors de l'eau, sans quoi tout le bateau sombrerait définitivement avec lui. Il en résulte un grand sentiment de gâchis. Dans sa genèse, le projet semblait très prometteur mais la réalisation n'est pas à la hauteur de ses ambitions pourtant respectables. Dommage.

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le 11 déc. 2020

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