Catherine Corsini, cinéaste féministe s'il en est, n'a pas l'habitude de faire dans la demie mesure.
Comment cautionner, malgré le talent de Karin Viard "La nouvelle Eve", qu'une femme parvienne à obtenir ce qu'elle veut en harcelant sa proie ? Qu'un personnage représentant la femme moderne ne pense qu'a elle et à son plaisir immédiat ? Ne cherche qu'à assouvir son désir de possession confondu avec le sentiment d'Amour avec l'accord et la complicité de la réalisatrice qui a crée ce personnage de femme libre.
Dans "Partir", le métrage qui réunit Kristin Scott Thomas et Sergi Lopez, le thème de l'assouvissement d'un amour fou, possessif malgré l'autre est toujours présent mais cette fois c'est le mari délaissé qui manipule jusqu'à l’écœurement la vie de son épouse pour la garder sous sa coupe exclusive.


Ici, elle revient à son obsession première et après avoir dressé le portrait d'une trentenaire célibattante, d'une quadra résignée qui découvre l'Amour, elle s'attarde sur le destin de deux femmes qui vont vivre une autre forme d'amour interdit.
La réalisatrice choisit ici la sobriété, bien lui en a pris.
Par sobriété, il ne faut pas entendre platitude mais personnages plus mesurés, respectueux et humains même s'ils sont profondément passionnés. il ne serait pas immérité de souligner qu'il pourrait s'agir du film de la maturité.
En alternant les prises de vues citadines avec les paysages campagnards, elle insiste sur les deux mondes dans lesquels ses héroïnes évoluent. A la grisaille parisienne, la tristesse des logements, s'oppose les décors magnifiés de la campagne, sa lumière et la personnalité des habitations.
Elle donne une âme à la ferme familiale entretenue d'une main de fer par Monique Noémie Lvovski, le mère de Delphine.


Dans la campagne limousine, Delphine* (lumineuse Izia) travaille comme un homme dans la ferme de son père. Suite à l'annonce du mariage de la fille dont elle est amoureuse, elle "monte" à Paris pour changer d'univers. Après le travail aux champs, le travail en usine. En sortant de chez Felix Potain, elle croise la route d'un groupe de femmes s'amusant à mettre le main aux fesses des hommes qu'elles croisent



"juste pour leur montrer ce que ça fait"



. L'un d'eux, en retour agresse l'une des activistes sous les yeux de Delphine qui s'empresse d'intervenir. La rencontre avec Carole (Cécile de France un peu trop âgée pour le rôle) va bouleverser la vie de la jeune paysanne. Cette professeur d'espagnol va lui ouvrir les portes d'un monde qui a soif d'égalité et de respect de l'autre.
La complicité évidente entre les deux femmes, leur amitié sincère va se transformer en quelque chose de plus profond à l'insu de la parisienne, qui est déjà en couple avec un homme.
Voir son hétérosexualité à ce point remise en cause par son attirance irrépressible pour la nouvelle venue va l'amener à réévaluer toute sa vie, les relations qu'elle a nouées en particulier celle avec son compagnon.
Ce film montre que les combats d'hier, ceux qu'on pourrait croire gagnés, sont et restent encore d'actualité.
Les droits des femmes, acquis à l'aube des années 70, en pleine période giscardienne, sont de plus en plus remis en cause. Le mouvement provie, mis en lumière par les partisans de la manif pour tous l'an dernier ont donné matière à la réalisatrice pour bousculer certaines idées reçues. Le droit des femmes est avant tout dépendant du regard que ces dernières portent elles-mêmes sur leur vie, leur statut social et leur place au sein de la société dans laquelle elles évoluent. Elles luttent contre cette image répandue que



« Toute femme devrait être accablée de honte à la pensée qu'elle est femme. »**



Là, Delphine ne s'accepte pas dans le regard des membres de sa communauté. Cet impression va d'abord la pousser à fuir dans un premier temps pour ensuite se priver elle-même de la liberté d'aimer.
Après le gêne du premier baiser échangé, viennent les premières caresses maladroites, les gestes hésitants et les corps qui se cherchent.
Aux deux mondes qui s'affrontent, s'opposent deux cœurs qui se lient.
Plus ce lien se renforce, moins il devient aisé de le garder privé, de le cacher.
Face au rejet des avances du jeune Antoine, (Kevin Azaïs, épatant et digne frère de Vincent Rottiers) la rumeur se met à se propager. Les regards évités jusque là se font réprobateurs.
A partir de là, les choix des deux femmes vont devoir être assumés. Briser les tabous jusqu'au bout et s'afficher au grand jour ou se laisser dominer par la peur du regard de l'autre. Le poids de l'éducation, de l'entourage n'est pas le même pour tout le monde.
S'en délivrer est un pas vers la liberté individuelle. La cinéaste, en ouvrant sa réflexion sur l'homosexualité, choisit de ne pas cloisonner son sujet au seul combat féministe mais en faire un plaidoyer pour le respect de la liberté de choix en général. Elle nous rappelle ainsi que l'homophobie n'est pas vaincue en France en 2015


*En hommage à l'actrice réalisatrice, Delphine Seyrig


** Clément d'Alexandrie

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le 22 août 2015

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