La Sorcière et le popa'a...


En ces temps confinés où nos libertés de déplacements sont limitées, aérez-vous l'esprit vers le dépaysant L'oiseau de paradis. Envolez-vous retrouver cette fleur exotique dont les caractéristiques résident dans ses spathes horizontales dont les pétales arborent fièrement les couleurs vives : jaune, orangé et bleu et appréciez ce profil à la forme d'oiseau coloré que l'on retrouve sur l'île paradisiaque de Tahiti, et vous y trouverez assurément d'autres augures...


Pour son premier long métrage mûri depuis fort longtemps et nourri par des souvenirs d'enfance, Paul Manate natif de Papeete (capitale de Tahiti et de la collectivité d'outre-mer de la Polynésie) rêvait de dévoiler sa fiction sur grand écran le 25 avril 2020. La réalité sanitaire de l'épidémie de Covid-19 en a voulu autrement, mais aujourd'hui avec curiosité nous pouvons enfin découvrir en exclusivité sur les plateformes VOD cette première longue aventure cinématographique. Alors cliquons voir si le voyage est beau !


Une musique singulière rompt le silence et une voix off grave débute le récit par la révélation d'une légende, l'histoire imaginaire de l'ogresse Hina, une sauvage malfaisante aux doigts de fées qui se cache sur l'île de Rurutu dans l'Archipel des Australes repérée et capturée par des pêcheurs. Un sublime premier plan lumineux à la lisière du fantastique illustre superbement cette évocation, avant de nous présenter l'héroïne Yasmina devant un auditoire attentif composés de jeunes enfants totalement captivés par la narration de la jeune polynésienne. D'autres lumières, artificielles celles-ci, dessinées par les néons de la boîte de nuit Paradise Night rompent la magie et nous éclairent sur un jeune homme dont la danse devant une jeune femme nous indique d'emblée son côté séducteur. Le décor est planté, les singularités affichées, avant que la nuit introduise une intrigue mystérieuse par le biais de lueurs étranges au cœur d'une forêt « Tabu ». La réalité reprend ses droits, et l'on retrouve Teivi le jeune homme métis, assistant parlementaire ambitieux aux côtés du député Gilot en pleine campagne électorale qui reçoit les doléances des habitants dans son beau « fare » (bâtiment traditionnel polynésien). L'existence de Yasmina, jeune étudiante timide et sauvage apparaît plus délicate, moquée et traité de sorcière par ses camarades, en proie à des difficultés scolaires et vivant chichement dans une habitation plus modeste que son cousin éloigné Teivi. Mais la révélation de certains dons mystérieux peuvent-ils inverser cette tendance ? Le manque d'argent incite la maman de Yasmina à aller demander de l'aide au fameux cousin. Le destin de la vie réunit ainsi « la sorcière » et le « popa'a » (surnom traditionnel donné par les tahitiens aux blancs nés sur l'île), jusqu'à ce qu'une prédiction maudite de la jeune femme à Teivi scelle inéluctablement leur parcours d'une manière énigmatique.


Le réalisateur nourrit de ses souvenirs de projections de films populaires ou de séries B au « Drive in » local (redevenu un peu à la mode depuis l'apparition du Covid-19 et la fermeture des cinémas hexagonaux) propose une mise en scène authentique du folklore tahitien empli de cultures maoris avec de nombreux détails typiques dont ceux qui ont séjourné en Polynésie peuvent retrouver avec émotions. L'originalité singulière du projet provient également du fait que L'oiseau de paradis devient le premier long métrage tourné à Tahiti, par un tahitien « demi » (issu d'un père métropolitain et d'une mère polynésienne) et en langue tahitien. Toutes ces considérations exotiques ne rendent jamais le film folklorique d'autant plus que l'auteur s'attaque sans détour à la corruption politique et à l'attitude des élus sans scrupules qui rejettent les locaux hors de leur propriétés territoriales et les empoisonnent (eau contaminée à Tautira), afin de construire un énorme complexe hôtelier afin de recevoir des touristes nantis. Il faut rappeler que la Polynésie française a été réinscrite depuis le 17 mai sur la « Liste des territoires non autonomes » des Nations Unies, ce qui indique l'esprit « colonialiste » ressenti sur l'île. Paul Manate avec soins à l'intelligence scénaristique de nous dévoiler par le biais de ces deux personnages principaux une vision plus complexe et trouble de Tahiti, une rude confrontation de l'ancestral et du moderne, loin de l'image paradisiaque souvent proposée.


Pour renforcer cette authenticité le réalisateur s'appuie sur nombre d'acteurs non professionnels recrutés sur l'île, puis bien aidés pour les interprétations pendant le tournage par la coach Delphine Zingg (collaboratrice de Céline Sciamma pour Bande de filles (2014) et de Alain Gomis pour Félicité (2017) notamment) dont Blanche-Neige Hiru superbe incarnation de l'intrigante Yasmina, au regard pénétrant. Ces bons acteurs amateurs sont épaulés par le fragile Sébastian Urzendowsky (Jessica forever) et l'excellent Patrick Descamps. La partition musicale prégnante d'Olivier Mellan et la splendide photographie d'Amine Berrada (évoquant aussi bien les peintures de Paul Gauguin et du Douanier Rousseau) rajoutent au charme captivant de cette fiction onirique, dont chacun pourra y trouver sa part de mystère et de résolutions. Car chaque île a ses secrets...


N'hésitez pas à cliquer pour vagabonder en terre VOD au sein de cette île emplie de contes mystiques et au cœur des croyances ancestrales, afin de découvrir le Tahiti d'aujourd'hui et la naissance d'un réalisateur tahitien prometteur.
Original. Sensoriel. Envoûtant.

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le 24 mai 2020

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