"Rendez-nous la lumière. Rendez-nous la beauté"

Comme souvent avec ces films qui me laissent dans un tourbillon de questionnement et que je ne peux me résoudre à trouver mauvais malgré le goût âpre et révoltant qu'ils laissent dans ma bouche, l'entêtant dégout qu'ils forment au creux de mon ventre, je ne suis pas satisfaite de ma note. Oui, 5 n'est pas la note que je voudrais lui mettre.
Parce qu'au delà de tout ce qu'il a chamboulé et remué en moi et en dehors des sexes avides et douloureusement enfouis, caressés ou avalés (en doublures ) filmés en gros plan, ce film a des qualités esthétiques indéniables. Oui, ce film se passe au bord et alentours, et exclusivement dans ces deux lieux très délimités, d'un lac flamboyant sous le soleil de l'été. C'est les vacances et il n'y a pas grand chose à faire quand le sexe autrefois si effréné vient de nous quitter dans une séparation rapide (mais qu'il rôde encore partout) comme c'est le cas pour Henri qui s’asseoit à l'écart parce qu'il voudrait être un peu seul, sans l'être vraiment, et parce qu'il pense qu'il n'y a pas de vrais homos mais des mecs qui couchent avec des mecs alors qu'ils sont en couple avec des filles. Bref, il rencontre Franck, un habitué de la nage dans le lac où l'eau est bonne, où le soleil caresse la surface, tout autant que du sexe dans les fourrés où il ne se souci jamais de se protéger. Car oui, Frank est un bel insouciant qui baise mais préfère être embrassé que jouir et qui se laisse doucement prendre au jeu d'une amitié qui serre le coeur sans avoir besoin de s'accomplir dans le sexe.
Oui, vous savez ce sexe un peu triste, dans les fourrés, à la sauvette (mais, un peu trop souvent malheureusement) face caméra. Attention, je ne défend pas la morale prude,je ne suis pas une "pisse froid" comme j'ai pu le lire assez souvent mais ce sexe à répétition m'a quelque peu dérangé parce que répété justement, à la différence des journées cyclotomiques, il ne dit plus rien. Et c'est d'autant plus frustrant qu'on n'est plus frustré.

Mais c'est surtout parce que suggérer (et non pas montrer à tour de bras, sans saveur) Alain Giraudie semble pourtant savoir si bien le faire, il esquisse un lieu aussi âpre que poisseux, aussi inquiétant que fascinant. Et surtout, il réussit une fabuleuse scène de meurtre filmé de loin, depuis le bois justement. A la surface de l'eau, deux hommes mais seul un ressortira. Une petite joie pour Frank qui aura enfin Michel pour lui seul. Michel qui incarne à lui seul (encore) tout le film: un homme qui ne veut pas qu'on s'infiltre dans sa vie, qui sépare le sexe de la vie à deux, un homme exclusif qui refuse qu'on s'attache à lui mais qui peut s'attacher, se débarrasser sans crainte de ce qui le dérange un peu trop. Un homme dégueulasse, inquiétant fascinant. C'est de l'amour castrateur qui existe entre ces 3 hommes là. Ils sont nus tout le temps mais jamais à nu. Car ils cachent tout de leurs vies, de ce pourquoi ils sont là, à attendre que rien ne se passe, ou que tout se passe en sourdine, dans l’obscurité.

Quant enfin le film commence (au moment où les deux hommes se poursuivent tour à tour), malheureusement, il se termine. Si Frank a été jusque au bout de sa fascination morbide, je me suis souvent demandé où j'allais. A aucun moment ce film ne parvient à effleurer ne serait-ce que la crête d'une émotion. C'est un film profondément froid qui bénéficie d'un jeu difficile, où les acteurs semblent débiter un texte devant la caméra. Certes quelque chose se créer dans ces répétitions incessantes des mêmes actions mais à beaucoup de moments (tout le temps en vérité), cela sonne faux. On ne sait pas où on va, pourquoi on y va... C'est incroyablement vide par moment, ridicule. L'enquêteur étant au summum. Le pire étant les dialogues entre Frank et Michel. Seuls, par moment, Frank et Henri sont parvenus à me toucher un peu...
Mais, sinon, c'est la chair triste, c'est gluant, et je pouvais presque sentir cette odeur sexuel qui émane des types louches que l'on croise certains soirs en rentrant assez tard, et qui vous mettent mal à l'aise sans parvenir à être intéressants ne serait-ce qu'une seconde.

Le ciel est bleu au dessus de leurs têtes mais ils s'enferment dans un "entre-soi" qui fait peur, parce qu'ils semblent ne rien apprendre ensemble, pas même à s'aimer vraiment et complètement. Je ne sais que penser de ce film donc auquel je reconnais une forme (parfois un peu "passée) et un univers très différent de tout ce qu'on peut voir en ce moment mais en même temps une écriture, un propos et des acteurs qui me donnent l'impression de ne pas y croire. Et puis, c'était sale quand même. Quoi qu'on dise, je préfère les scènes où il suggère le sexe en filmant le ciel par exemple, où un début de tension se dessine dans l'amitié de Frank et Henri (venu chercher sa fin) plutôt que quand il filme des corps qui se prennent à perdre haleine, vainement et sans beauté.
eloch

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