Il faut comprendre tout d’abord la nécessité d'un travail de mémoire comme celui, difficile, qu’entreprend Rithy Panh depuis Site 2 en 1989. En effet, de l'horreur Khmère rouge qui laissa une grande partie du Cambodge dans un état de quasi néant, il ne reste pour ainsi dire aucune trace visuelle. Le cinéma de Rithy Panh, dans sa vocation de témoignage, s'est souvent heurté à cette 'image manquante', image théorique d'un génocide qu'à défaut de pouvoir montrer, le cinéaste tend à produire -en vérité, à travailler l'absence ( S21, où, devant la caméra, d'anciens tortionnaires reproduisaient à vide leurs gestes de bourreaux ).

Autant que l'image, sa recherche est indispensable ; c'est le sens à donner au dernier Rithy Panh, portrait du régime de Pol Pot exhumé in fine par le cinéaste de ses propres souvenirs. Le procédé est passionnant :
Une série de petites reconstitutions grossières en argile peinte figure, selon un principe de mémoire sensible, tant l'enfance douloureuse du cinéaste ( Rithy Panh perdra dans les camps de travail ses parents, sœurs et neveux ) que les années de dictature sous l'Angkar.
Par leur aspect rudimentaire, ces figurines ne peuvent prétendre se substituer à l'image manquante, mais c'est précisément du vide qu'elle donnent à voir que naît la réflexion. L'horreur est infinie quand on la surprend dans les traits sommaires de ces petits personnages de terre immobiles, masse anonyme et muette que l'on imagine dès lors pétrie par l'endoctrinement Khmer rouge ( anéantissement de la pensée, domination des corps par le vide et la faim ).

Le geste trouve son évidence dans une dernière scène : une petite figurine enterrée à plusieurs reprises, image nécessaire et fragile, détresse enfantine d'un cinéaste impuissant à faire reconnaître historiquement un génocide.
Léopold_Pasquie
8

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le 24 mars 2014

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