Hollywood, "mange la chair de tes filles et mange la chair de tes fils."

Plus élégant qu'un "Mange tes morts", je suppose.

On le savait tous depuis le début, offrir une suite à l'Exorciste dans la veine de ce que le réalisateur avait déjà fait avec Halloween, à savoir ignorer toutes les suites et s'imposer comme la/les seule(s) suite(s) légitime(s), en promettant d'en faire une trilogie avant même la sortie du premier film par-dessus le marché, était une très mauvaise idée comme seuls le Malin ou une réunions de patrons de studio peuvent les concevoir.

L'Exorciste de William Friedkin est un film qui a été copié quelques milliers de fois en plus de 40 ans, mais qui n'a étrangement jamais été compris par les cinéastes s'étant adonnés au genre du film de possession. Il faut dire qu'il en est le plus noble représentant, le premier même, et Friedkin avait l'intelligence, en bon précurseur, d'introduire le concept de la possession démoniaque au grand public, en partant du monde rationnel et civilisé pour petit à petit le désaxer en y faisant surgir l'étrange, l'inexplicable. Ce qui apparait comme surnaturel pour les protagonistes est d'abord rationalisé, on cherche à donner toutes les explications possibles, chimiques, comportementales, psychiatriques, à l'état de la petite Regan, et ce n'est que lorsque toute possibilité est écartée que nous entrons véritablement dans le domaine mystique, le seul qui à ce stade nous apporte des réponses. Par ce procédé à la fois simple et logique, Friedkin a permis la transition de l'exorcisme, de pratique marginale et presque inconnue de l’Église catholique à véritable phénomène de pop-culture dont nous connaissons tous les codes sans même avoir vu un seul film sur ce thème. Pour autant, il ne tombe pas non plus dans l'excès inverse, à savoir donner tout le crédit à Jésus et ses copains, qui serait faire une forme de propagande religieuse un peu déplacée, surtout dans un monde à plusieurs monothéismes. Ainsi, il concluait son métrage sur une amère victoire, car l'exorcisme a échoué et seul le suicide du protagoniste pour sauver la fillette innocente a pu mettre un terme au cauchemar. Le Mal est vaincu par le péché, mais l'innocence et l'amour survivent, et c'est tout ce qui compte.

Malheureusement comme je l'ai dit, L'Exorciste a été un modèle, non pas souvent mais toujours copié, et définitivement jamais égalé. Car tous les films s'étant essayés au genre n'ont fait que copier le modèle de Friedkin, mais à la manière de la photocopie d'une photocopie, on obtient un ersatz peu reluisant, un schéma narratif hyper classique : Gamine avec comportement bizarre > C'est dans sa tête > Bizarrerie va crescendo, on peut ouvrir notre petit symbolisme catho pour les Nuls > Non c'est pas dans sa tête > Prêtre > NotrepèrequiêtesauxCieux > Fin possession.

C'est toujours la même chose, le genre du film de possession est l'un des plus formolés que je connaisse, et ses métrages tombent bien souvent dans le piège d'une certaine complaisance catholique parfois donneuse de leçons qu'on dirait sortie d'un autre temps. Mais jamais un seul de ces films n'a réellement tenté de renouveler le genre en lui apportant de nouveaux codes ou de nouvelles pistes narratives. C'est juste le même délire de "catho porn", comme on dit, qui enferme un genre tout entier dans un statisme morbide, si puissamment ancré dans les esprits qu'il contamine même une suite au film fondateur dudit genre.

Longue rétrospective j'en conviens. J'annonce que ce sera la chose la plus intéressante de cette critique. Car L'Exorciste Dévotion représente tout ce qui ne va pas dans le cinéma de possession. A la trame formolée citée plus haut qu'il reprend à la lettre, il ajoute une couche d'infamie en invoquant le titre du film originel pour mieux le souiller. La présence d'Ellen Burstyn n'est qu'un caméo de luxe. Contrairement à Jamie Lee Curtis qui a pu grâce à ses retrouvailles avec Laurie Strode dans Halloween donner à son personnage une toute nouvelle dimension, la pauvre Ellen a un temps de présence ridicule à l'écran et n'apporte rien à l'intrigue du film si ce n'est une pause de 15 minutes qui nous tease avec la subtilité de Satan qui tombe des Cieux aux Enfers l'apparition prochaine de Linda Blair, interprète de Regan du premier film. Je vous jure que le botox de la comédienne est de loin l'élément le plus flippant du film. L'Exorciste Dévotion ne justifie jamais son titre, car à aucun moment il ne crée un véritable pont concret entre Friedkin et lui. Je vous parie dix mille balles qu'à l'origine c'était un scénario complètement lambda que les exécutifs de Blumhouse ont ressorti des cartons lorsque Universal a racheté la licence pour la coller au forceps dans cette histoire sans intérêt.

La seule petite originalité c'est la double possession, mais elle ne sert à rien ! Déjà parce que les deux filles n'ont eu droit qu'à un développement misérable en début de métrage, si bien qu'on n'a aucun attachement pour elles et pas grand chose à faire de leur survie; ensuite parce qu'à aucun moment le fait d'avoir deux possédées n'est exploité, ni symboliquement ni en termes de mise en scène. Aucune idée d'épouvante ne jaillit de ce postulat de base, elles se comportent exactement comme Regan dans le premier film avec juste 3/4 jumpscares gratuits (et aucune contorsion surnaturelle ?). Et je vous avoue que j'ai pouffé de rire lors de la scène dans l'église. Si vous avez vu la bande-annonce, vous avez dû vous dire "Ouah, ça a l'air d'être nul", mais non : C'est pas nul, c'est drôle ! Tu sens que c'est la scène "choc" du film, le moment de grosse bascule émotionnelle qui doit venir frapper les croyants jusqu'au plus profond de leur foi. Mais non, elle dure à peine plus longtemps que dans la bande-annonce et elle nous faire rire devant la naïveté de Gordon Green qui a l'air de vouloir faire frissonner les plus de 70 ans mais oublie qu'il s'adresse en premier lieu à un public de la première fraicheur qui n'en a pas grand chose à battre du blasphème et veut juste être diverti. Putain, le film originel a 50 ans et il était bien plus blasphématoire et "choquant" que ça, entre les insanités balancées par Regan, la scène où elle dévale l'escalier à l'envers ou la fameuse masturbation à coup de crucifix. C'était voulu comme choquant et ça marchait. Là, on n'a absolument rien à se mettre sous la dent, c'est limite si les filles possédées ne s'excusent pas just après avoir insulté un personnage. Quel petit bras que ce Gordon Green tout de même.

Bon soyons honnêtes, David Gordon Green n'est pas un mauvais cinéaste, dans le sens où il sait produire de jolies images et a parfois des petites idées de mise en scène sympathiques, mais il n'est pas là, contrairement à Halloween où il avait de l'inspiration, pour apporter un souffle nouveau à L'Exorciste, il est là pour "legacyqueliser" le film de Friedkin et nous donner une trilogie. On se demande bien ce qu'il va nous proposer, vu qu'il n'a même pas assez d'idées pour faire un seul film d'exorcisme...

Dévotion n'a aucune intérêt. Il se pâme d'être la suite d'un film culte mais l'utilise n'importe comment (tu vois tellement la douleur que ressent Ellen Burstyn juste en étant présente devant la caméra pour cette suite qu'elle n'a aucune envie de tourner...), nous offre une milliardième fois le cliché du personnage "Qu'il a plus la foi mais qu'il la retrouve à la fin grâce à l'amour et à Jésus", sous-développe tout le reste de son casting (les parents catholique sont transparents, la sorcière vaudou est presque inutile,...), se fini en queue de poisson juste parce qu'il faut préparer la suite. Au moins Gordon Green avait eu la décence de finir son premier Halloween comme une conclusion définitive de la franchise, mais là non. Suite obligatoire.


Ah, et d'ailleurs il faut que je le dise maintenant : le message anti-avortement m'a mis très mal à l'aise. Deux fois dans le film, cette question revient. Donc pour Gordon Green si tu avortes, ton fœtus est condamné à brûler en Enfer, et si tu choisis de sauver ta femme au lieu de l'enfant qu'elle porte, même si au final c'est la mère qui décède, l'enfant en question est maudit et sera possédé par les démons. Je suis conscient que pour un public de catholiques américains déconnectés de la réalité sociale et de la condition des femmes dans le monde, l'avortement puisse être associé au démon, mais pour des gens normaux comme moi, ça donne un message un brin malaisant qui ne nous fait pas oublier que l'interdiction de l'avortement a été votée dans plusieurs États américains il y a peu de temps et que les États-Unis s'enfoncent de plus en plus dans un conservatisme religieux qui contamine le cinéma d'horreur et ne donne que d’infâmes saletés (La Nonne, La Proie du Diable (financé par les Évangélistes, d'ailleurs),...).

Et puis si j'étais mesquin, je dirais que c'est plutôt ironique de critiquer l'avortement dans un film dont ni Friedkin ni Ellen Burstyn ne voulaient qu'il voie le jour. Peut-être que quelqu'un devrait filer à Blumhouse une pillule du lendemain...

Bref, une nouvelle manifestation du Péché originel du cinéma américain, Orgueil et Gourmandise, incapacité de connaitre ses limites et de comprendre ses propres maux, apathie totale pour ce qui est de traiter son héritage, prétention d'élever des buildings plus hauts encore que ses glorieux monuments d'antan, mais utilisant pour fondations du papier mâché et du scotch. Je ne suis pas impatient de voir la suite, mais j'ai très envie de revoir les suites originelles de L'Exorciste qui ont été décanonisées par ce torchon. Car malgré leurs maladresses, elles avaient de vraies envies de cinéma, elles voulaient raconter quelque chose et voulaient partir du mythe originel pour aller plus loin, et ne pas s'enfermer dans le sempiternel schéma d'exorcisme qui a atteint ses limites il y a longtemps, et dont Dévotion n'est qu'une nouvelle itération cadavérique et désarmante de stupidité.

Et puis au moins, dans l'Exorciste 2 et 3, ça critique pas les femmes qui veulent pas de bébés.

Arkeniax
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le 12 oct. 2023

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