Dans L’étrange affaire Angelica, je crois que Oliveira a voulu s'interroger sur la notion du regard. Qu'est-ce que le regard ? Ou plutôt : vers quoi nous mène l'action de « regarder » ? Sa réponse est magnifique : vers le mystère. Regarder, c'est voir toutes ses choses qui nous échappent. Le photographe regarde longuement ses photos, et il voit la morte sourire. C'est un peu la métaphore parfaite de la mise en scène de ce film, de la mise en scène tout court : les plans fixes durent, et il faut qu'ils durent un peu pour qu'on commence à « regarder », et voir ces choses que le cinéaste a agencé dans le plan et qu'il a laissé se charger de mystère. C'est très concret, et en même temps, à force de détails, de temps, l'image s'évade vers quelque chose qui relève de la légende, du conte, de la poésie pure. Au fur et à mesure que le récit avance, le film se rapproche de plus en plus de la mort, et devient pourtant de plus en plus vivant. Filmer, c'est voir les fantômes, réveiller les morts. Faire du cinéma, c'est renvoyer le réel à sa bizarrerie. Le film semble d'un autre temps, mais il s'inscrit à merveille dans le temps présent.
C'était mon premier film du cinéaste centenaire et je l'ai trouvé très beau. Je peux déjà sentir toute la maîtrise que le cinéaste à atteint, mais pourtant, il a encore l'humilité de ne rien verrouiller, de composer son film comme une ouverture sur le monde, d'inventer encore des choses (le film est d'une malice et d'une inventivité de chaque plan), de parler de sa culture et de son pays. Le Portugal, pays dans lequel j'aimerai vivre, est toujours plus merveilleux sous le regard des grands cinéastes.