Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Traditionnel film dans le film, la frontière entre fiction et réalité est mince dans L’État des choses. Pourtant, l’ouverture du film nous happe dans la fiction totale ; avec l’absence d’un quelconque contexte, nous suivons l’errance d’une petite troupe de survivants parcourant paysages sauvages et défraîchis. Aucune trace de la menace qui intimide le groupe, seule une musique stridente annonce l’omniprésence du danger. Wenders nous plonge dans un survival movie qui débouche sur la mort tragique d’une enfant. Mais à peine l’action est installée qu’elle se dérobe : Friedrich Munro, réalisateur incarné par Patrick Bauchau, apparaît dans le cadre pour saluer la performance de son actrice, dévoilant par la suite l’entièreté du plateau de tournage. Une seconde histoire commence alors : celle d’une équipe de tournage qui, par manque de pellicule et de budget, assiste à la suspension du film.


Dans cette seconde narration, Wenders convoque ses thématiques phares que sont l’errance et l’incertitude. La mise en scène s’annonce cruelle envers cette équipe de tournage en proie au désarroi. L’immobilité du cadre renvoie à la position statique de ses sujets, désormais condamnés dans une attente indéfinie. Et si la caméra ose s’élancer dans un mouvement, c’est souvent pour capturer l’immensité du décor défraîchi, jusqu’à souligner la perte de perspective. Autour d’un tournage mis à l’arrêt, que devient une équipe de cinéma sans cinéma ? C’est la question qui frappe tour à tour les personnages. Tandis que le danger d’un film inabouti plane et que la menace financière gagne du terrain, les questions existentielles sont de mise. Ces dernières sont clairement convoquées par l’usage excessif des miroirs : tout pousse à porter un œil sur soi.


« C’est nous, les survivants » rétorque l’acteur principal à sa partenaire de jeu. Et en effet, en proie à un avenir incertain, la fiction finit par dévorer petit à petit ses créateurs. La musique si caractéristique à la séquence d’ouverture retentit de nouveau pour chanter cette fois-ci le désespoir des membres de l’équipe. Les paysages apocalyptiques, sauvages et abîmés témoignent désormais des tourments de ces derniers. Toutes leurs angoisses deviennent visuelles, prenant la forme des vagues fracassantes et des ruines miteuses. Tout comme les protagonistes du film avorté, l’équipe de tournage est poussée vers la déambulation. Sous des gestes presque mimétiques, fiction et réalité s’entremêlent alors, jusqu’à leur perte.


Devant ce portrait un brin défaitiste, Wenders ne bascule néanmoins jamais dans le pathétique. L’État des choses témoigne des questionnements artistiques du réalisateur et en fait une œuvre profondément personnelle. L’œil attendri de Wenders amène alors justesse et profondeur sur une industrie cinématographique pourtant maintes fois dépeinte à l’écran.


Autrice : Lise Guéritot

Site d'origine : Contrastes

Contrastes
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Rétrospective Wim Wenders

Créée

le 11 déc. 2023

Critique lue 8 fois

Contrastes

Écrit par

Critique lue 8 fois

D'autres avis sur L'État des choses

L'État des choses
JeanNeige
9

La caméra, la vraie arme de destruction massive

Première chose à préciser: quand j'ai vu le film, je ne connaissais pratiquement rien de Wenders. Je n'avais vu que Les Ailes du Désir, qui était sublime, mais ça ne me donnait pas nécessairement une...

Par

le 1 janv. 2016

9 j'aime

4

L'État des choses
EricDebarnot
9

Fragilité du Cinéma

Wim Wenders prend son temps pour nous parler du Cinéma comme d'un Artisanat en voie de disparition, où l'attente dérisoire et l'inactivité complaisante finissent par nourrir des images spectrales, au...

le 6 janv. 2019

4 j'aime

L'État des choses
PierreAmo
7

Duel dans la salle de montage entre Coppola et Wenders?

"Cherchez la femme " (Francis Ford Coppola)23/02/2024; il y a 10 intéressants textes sur SC mais sauf erreur, aucun ne mentionne un détail que je viens juste d'apprendre moi-même dans un bon...

le 23 févr. 2024

4 j'aime

3

Du même critique

Strange Way of Life
Contrastes
3

Soudain le vide

Il y a quelques années, Saint Laurent se payait les marches du Festival de Cannes en co-produisant Lux Æterna de Gaspar Noé, coquille vide qui permettait néanmoins à la marque de s’offrir un joli...

le 17 août 2023

23 j'aime

Unplanned
Contrastes
1

Propagande pure et dure

Même en tant que rédacteur amateur d’un blog à très faible audience, décider de consacrer un article à Unplanned est loin d’être anodin : dénoncé depuis plus de deux ans comme un nanard de propagande...

le 16 août 2021

14 j'aime

1

After Blue (Paradis sale)
Contrastes
7

Luxe, crasse et volupté

« Nous aurons fait un grand pas en esthétique lorsque nous serons parvenus non seulement à la conviction intellectuelle mais à la certitude intime que l’évolution de l’art est liée au dualisme de...

le 19 févr. 2022

11 j'aime