Délaissant l’angle politique et social développé par Romero dans Zombie, Fulci explore les origines vaudous du mythe et propose un film excessif et roboratif. Une oeuvre nihiliste, maîtrisée de bout en bout qui redéfinira pour les années à venir les limites de la violence graphiques et vaudra au petit maître italien le surnom mérité de Godfather of Gore.

Une jeune femme accompagnée d’un journaliste britannique entreprend un voyage vers les Caraïbes afin d’y retrouver son père disparu. Débarquant sur l’île tropicale de Matoul accompagnés d’un couple de vacanciers, ils découvrent un endroit maudit infesté de cadavres ambulant quittant leur tombes pour attaquer les vivants. Île maudite à la suite de pratiques vaudous ou résultats d’expériences scientifiques menées sur place par le docteur Ménard ? Le groupe va devoir survivre aux assauts des zombies et accessoirement éclaircir le mystère aux origines de cette épidémie macabre.

Le producteur Fabrizio de Angelis proposa d’abord la réalisation de L’Enfer des zombies (Zombi 2) à Enzo Castellari, réalisateur du très bon western Keoma et de superbes bis ayant vu le jour après le succès du Escape from New York de Carpenter comme Le guerriers du Bronx (I guerrieri del Bronx) ou Les nouveaux Barbares (I nuovi barbari). Castellari ayant décliné l’offre, on alla trouver Lucio Fulci qui accepta d’abord pour des raisons pécuniaires, avant de s’investir à corps perdu dans ce projet qui lui correspondait parfaitement. Fulci avait déjà exploré le terrain de la violence graphique depuis Liens d’amour et de sang (Beatrice Cenci) , mais L’Enfer des zombies allait vraiment ouvrir une brèche et redonner un second souffle à sa carrière. Le réalisateur avait beau avoir déjà réalisé une trentaine de films en 1979, ce fut sans aucun doute cette oeuvre qui le révéla à l’échelle internationale. Il réalisa d’ailleurs dans les années suivantes ses films les plus personnels et ses plus grands succès commerciaux comme Frayeurs (Paura nella città dei morti viventi), La maison près du cimetière (Quella villa accanto al cimitero) ou son chef-d’oeuvre : L’au-delà (E tu vivrai nel terrore – L’aldilà).

Titré Zombi 2 en Italie, L’Enfer des zombies vu sa production initialement lancée pour profiter du succès du Zombie (Dawn of the Dead, sorti en Italie sous le titre Zombi) de George Romero. Toutefois, Fulci choisit intelligemment d’abandonner l’approche satirique de son modèle pour concevoir une oeuvre brutale et viscérale, dénuée de tout commentaire social au-delà de la métaphore simpliste de l’ancien monde attaquant le nouveau. Excessif, puissant, le film déploie une imagerie iconique imprimant durablement la rétine et n’a en fait d’autre but que de révulser, choquer et déranger en noyant le spectateur dans un déluge sensoriel macabre. L’atmosphère pesante distillée tout au long du film, couplée à une violence sans concession et à un production design impeccable signé Walter Patriarca construisent ainsi une dimension cauchemardesque quasi surréaliste venant propulser L’Enfer des zombies bien au-delà d’une simple copie sans inspiration.

L’Enfer des zombies rapporta finalement beaucoup plus d’argent que Dawn of the Dead au box office européen. Probablement en raison de cette approche plus spectaculaire et sans doute également grâce à une interprétation plus ‘monstrueuse’ de la créature zombie. Ainsi, si Romero essayait d’humaniser ses morts-vivants et sous-entendait que la menace venait surtout des vivants, souvent présentés dans ses films comme de véritables monstres, Fulci choisit une approche diamétralement opposée. Bien plus séduit par l’aspect fantastique et surnaturel de la créature, le réalisateur italien fait référence à la magie noire, au vaudou et à l’occulte pour revenir aux origines du mythe et ainsi composer une toile de fond riche et fantaisiste à l’opposé du monde réaliste et politiquement conscient de Romero. Après L’Enfer des zombies, le peu d’empathie que suscitait encore l’ancien humain sortant de terre depuis Les morts-vivants (White Zombie) en 1932 ou le Vaudou (I Walked with a Zombie) de Jacques Tourneur en 1943 s’estompa et on considéra désormais le revenant putréfié comme une ghoule belliqueuse, prédateur insatiable ne méritant rien d’autre qu’une volée de plombs dans la boite crânienne.

Difficile de parler de L’Enfer des zombies sans évoquer le travail remarquable du responsable des effets spéciaux Gianetto De Rossi, dejà reconnu à l’époque pour sa collaboration avec Sergio Leone sur Il était une fois dans l’ouest (C’era una volta il West) et surtout pour son extraordinaire travail sur Le massacre des morts-vivants (Non si deve profanare il sonno dei morti) de Jorge Grau en 1974. C’est ici sa première collaboration avec Fulci, qu’il retrouvera à de nombreuses reprises sur des films comme La maison près du cimetière, L’au-delà ou encore L’Éventreur de New York. Les zombies conçus par De Rossi n’ont jamais semblé aussi morts. Loin du simple maquillage bleuté et des quelques cicatrices apposées par Tom Savini sur les créatures de Romero, ce sont ici des monstres décrépis infestés de vers qui déambulent dans les rues de l’île maudite. Des créations en latex très élaborées fourmillant de détails viennent intégralement recouvrir les visages et les corps des acteurs, dissimulant toute trace de vie pour créer des êtres émaciés aux corps rongés par des années de décomposition.

Car tout est question de détails dans les conceptions de De Rossi. Aussi bien dans la recherche de textures et de formes lorsqu’il imagine ses zombies que dans une véracité poussée lorsqu’il conçoit ses effets les plus crades. Mais si le gore chez Fulci est aussi choquant, c’est qu’il atteint parfois un équilibre parfait entre amplification stylistique et réalisme pour offrir des visions riches et fascinantes. En combinant une simulation crédible, presque scientifique de l’élasticité et de la densité de nos chaires avec une extravagance visuelle et une mise en image très stylisée, De Rossi et Fulci composent conjointement des tableaux macabres repoussant les limites de la représentation de la violence pour faire naître de vrais bulles de poésie abstraite et de grands moments de cinéma. Évidement tout est question de point de vue mais il est impossible de ne pas reconnaître aujourd’hui l’influence des créations réalistes de De Rossi sur les maîtres contemporains comme Greg Nicotero ou Yoshihiro Nishimura.

On trouve tout au long du métrage bien des scènes anthologiques ayant marqué des générations de cinéphiles. Que ce soit cet ahurissant duel de monstres digne de Ray Harryhausen entre un zombie et un requin ou un plan final apocalyptique légendaire venant clore le film de la manière la plus iconique qui soit. Mais l’apothéose cinématographique du film est assurément atteinte avec la célèbre scène d’énucléation du personnage interprété par Olga Karlatos. Je ne m’apesantirai pas ici sur les détails peu ragoûtants de l’affaire, les curieux pourront s’en enquérir, mais sachez que cette scène a bien plus à offrir qu’une simple vision d’horreur. C’est un tout de force en matière de tension, une démonstration de l’assurance de Fulci dans sa capacité à orchestrer l’épouvante. Cadrages, lumières, sons et mouvements d’appareil font de ce moment une expérience traumatisante mais surtout une belle leçon de cinéma pour ceux qui sauront dépasser le traumatisme graphique induit par la chose. Notons tout de même que cette scène de violence ophtalmique devint presque une signature pour Fulci qui la déclina par la suite sous différentes formes dans d’autres films comme L’au-delà, Frayeurs ou L’éventreur de New York.

Comme la plupart des films réalisés par Fulci, L’Enfer des zombies jouit d’une mise en scène très soignée et d’un découpage complexe très ambitieux. Les plans y sont minutieusement composés, les mouvements de caméras amples et remarquables venant magnifier les choix artistiques pour livrer des visions vibrantes aux couleurs diaprées de jour comme nuit. Un style fluide et manifestement très inspiré par le travail de Mario Bava, parfaitement rehaussé par la photographie contrastée très comic book de Sergio Salvati qui apporte au film une belle patine ‘pulp’ mettant parfaitement en valeur la toile de fond exotique de l’aventure. On remarquera de jolis morceaux de bravoure ici et là comme cette attaque d’un conquistador mort-vivant remarquablement filmée et au timing parfait. Un exemple flagrant du savoir faire et de la maestria de Fulci et Salvati, démontrant qu’il est possible de filmer avec une grande ingéniosité un évènement des plus simples au premier abord (le rapprochement ‘physique’ de deux personnages) pour le rendre terrifiant. Tout est question de point de vue, de rythme et de direction d’acteurs.

Parmi les collaborateurs récurrents de Fulci on retrouve aussi sur ce film Fabio Frizzi, compositeur de la bande originale du métrage. Il livre ici une partition mémorable et mélange harmonieusement le côté froid et industriel de la musique électronique avec les rythmes exotiques des caraïbes. Un choix qui aurait pu être casse-gueule mais qui s’avère au final très payant en jouant habillement sur le contraste vie/mort propre à ces deux sonorités diamétralement opposées. D’un coté l’horreur froide ressentie par les citadins, illustrée par des sons de synthétiseurs proches de l’univers musical d’un John Carpenter et de l’autre une illustration instrumentale se rapprochant nettement du folklore vaudou pour personnifier les zombies grâces des instruments et des percussions aux sonorités ethniques. En résumé, une binarité musicale collant parfaitement à la mythologie développée et venant parfaitement appuyer la puissance de l’imagerie déployée dans L’Enfer des zombies.

Coté interprétation, l’actrice grecque Olga Karlatos tire son épingle du jeu dans le rôle de Paola Menard. Son jeu très expressif et néanmoins authentique aide énormément à ‘vendre’ des scènes d’exposition assez lourdes et des situations extrêmes à la limite de la parodie. Une actrice courageuse et physique livrant une performance crédible qu’on retrouvera avec plaisir quelques années plus tard dans un autre Fulci, le kitchissime et cultissime Murderock (Uccide a passo di danza). De son côté le charismatique Al Cliver, qui réapparaîtra aussi dans l’univers Fulci en 1981 avec L’au-delà, insuffle une bonne dose de Quint des Dents de la Mer dans le personnage de Brian et sa prestation apparaît plus qu’honorable malgré un rôle un peu mince dénué de relief. Auretta Gay est aussi un atout important dans L’Enfer des zombies. Sobre et assez austère, son jeu ancre le personnage de Susan dans la réalité et facilite l’identification en rendant les situations fantastiques plus plausibles et concrètes.

Pour le reste de la distribution, difficile de passer la barrière du doublage imposé par ces co-productions internationales aux budgets restreints empêchant l’enregistrement du son en live. Comme pour de nombreux films de cette époque, les acteurs de nationalité différentes jouaient tous dans leurs langues avant de ré-enregistrer leurs répliques en studio durant la post-production. Un gain de temps considérable qui malheureusement n’améliore pas la cohésion de l’ensemble lors d’un visionnage en V.O. Reste le rôle central du Docteur David Menard, remarquablement incarné par le très solide Richard Johnson, acteur vénéré par les fans de cinéma d’horreur pour ses rôles légendaires dans La maison du diable (The Haunting) de Robert Wise ou dans Le continent des hommes poissons (L’isola degli uomini pesce) de Sergio Martino.

Au final, malgré le fait que l’Enfer des Zombies soit au départ un pur produit du cinéma bis dans sa volonté de calquer les recettes du succès de Romero pour gratter quelques brouzoufs, on se trouve face à une oeuvre des plus originales aussi bien dans la forme que dans le fond. Loin de reproduire bêtement un schéma défini, Fulci offre une véritable relecture d’un mythe moderne en imposant son style visuel et son goût de la viande fraîche. Premier film d’horreur du réalisateur au sens strict du terme, l’Enfer des Zombies impose déjà un univers morbide riche et détaillé qui fera sa renommée les années suivantes et lui ouvrira une voix royale vers des budgets plus importants et des productions plus ambitieuses. Une oeuvre annonciatrice d’un âge d’or durant lequel Fulci ne cessera de perfectionner sa patte visuelle pour dépeindre des univers fantastiques complexes toujours plus cauchemardesques et inquiétants.
GillesDaCosta
9
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le 7 janv. 2013

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Gilles Da Costa

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