Derrière ce titre un peu fonctionnel, se déroule une pépite d’une modernité rare découverte à la Cinematek belge. L’intrigue n’est pas toujours très claire. Ça n’est pas grave, car le film traite le monde financier de l’époque avec une vraie acuité.
Joe Morse, jeune et ambitieux avocat, gère les affaires de Joe Tucker, puissant gangster new-yorkais contrôlant les paris. Il cherche à réunir, en une organisation tentaculaire, les différentes branches familiales de la pègre. À cette fin, il échafaude une vaste machination dont sera victime son propre frère Léo, petit malfrat ruiné. Dévoré par la haine et les remords, Joe Morse décide alors de se venger et témoigne contre la mafia.
L’appréciation des films n’est pas une science exacte. Il y a des films dont l’intrigue est vraiment poussive et cela nuit au plaisir du spectateur. Il y en a d’autres dont l’histoire est totalement fumeuse, opaque et pourtant on prend un plaisir immense à se perdre dans l’intrigue.
Car le film traite avec une vraie acuité du monde de la finance, de l’argent. En tout cas la finance américaine des années 30. Le krach de 29 est récent et a ruiné beaucoup d’américains. Les plus riches contrôlent, les plus puissants sont aux manettes. La population trinque. La confusion scénaristique provient également du fait que les rôles sont inversés. Les avocats, les financiers sont mafieux. Le banquier crapuleux, qui gère son business clandestin, semble être celui qui a à cœur l’intérêt des petites gens.
Le film repose sur un schéma récurrent du cinéma américain. La rédemption d’un pourri. Celle d’un cynique qui s’est enrichi sur le dos des gens et qui atteint de remords et d’un sens de la famille finira par mettre à mal le système grâce auquel il a prospéré. Après l’inversion des rôles, l’inversion des personnalités.
Le film est un modèle de rythme et de narration. Aujourd’hui, beaucoup de films durent 1h45, 2h00. Les cinéastes devraient tirer la leçon de ce film de Polonsky. Il dure 1h18, montre en main. L’intrigue est ramassée, débarrassée de tout gras. Le rythme est parfaitement maîtrisé. Polonsky se permet une intrigue sentimentale de rigueur sans que cela ralentisse le film. D’autres vont beaucoup plus vite. Notamment à la fin, avec de final digne d’un film noir, ou d’un film d’espionnage avec ces téléphones sur écoute, ces règlements de compte, ces rendez-vous secrets dans des restaurants.
Comment sait-on qu’un film, en noir et blanc, sorti en 1948 et vu dans une très vieille copie, est marquant ? Eh bien, à ses échos dans le cinéma contemporain. La modernité du film vient assurément de sa voix-off factuelle et explicative qui résume l’action, comme on peut en entendre désormais dans beaucoup de films traitant du monde financier. Cette voix-off se fait parfois cynique et sarcastique, et il n’est pas interdit de penser que Matin Scorsese s’en est inspirée pour ‘Le loup de Wall Street’.
Le nom des acteurs ne dira rien à personne mais il convient de citer le nom de Beatrice Pearson dans son premier rôle à l’écran qui a une vraie présence. On croise également Marie Windsor que l’on reverra dans l’étonnant film de Richard Fleischer ‘L’énigme du Chicago Express’. Mais surtout dans le rôle principal, John Garfield apporte son physique et son phrasée de petite frappe.
‘L'Enfer de la corruption’ est un film étonnant dans sa forme et toujours très actuel sur le fond dans sa façon de montrer les rouages derrière la finance folle.