L'Empire
5.8
L'Empire

Film de Bruno Dumont (2024)

Imaginez les univers de Star Wars, de Dune, avec, en outre, un emprunt à L'Invasion des profanateurs de sépultures (sur ce dernier point, on pourrait considérer que L'Empire est une sorte de prolongement de Coincoin et les Z'Inhumains... en plus de revoir deux personnages hauts-en-couleur... mais je vais y revenir plus loin !) qui débarquent chez Bruno Dumont. Ben, ce n'est plus la peine de l'imaginer puisque vous pouvez maintenant le voir.


D'abord, on pourrait savoir comment, avec un budget très réduit, le film parvient à avoir des effets spéciaux impeccables alors que des bousasses hollywoodiennes à 300 millions de dollars ne servent que du vomi numérique à deux balles ?


Alors, autrement, il y a des décalages humoristiques savoureux, comme parler de grands thèmes vitaux, comme l'éternelle opposition entre le Bien (tendance woke, avec notamment une cheffe de guerre, ayant un homme plus faible, physiquement et intellectuellement, sous ses ordres !) et le Mal (tendance conservatrice, avec notamment, comme chef de guerre, un macho, n'hésitant pas exprimer, sans prendre de gants, son désir !), avec l'attirance physique comprise dans l'équation, se fichant de tout intellectualisme, de tout combat philosophique ou religieux, comme dans la plupart des Dumont, leur impossible entente sur l'avenir de la planète Terre et de ses habitants, souvent au détour ou au milieu d'une conversation sur des choses banales, terre-à-terre, bien ancrées dans le quotidien, prosaïques à donf.


Ou encore, celui d'opposer des comédiens professionnels (dont Lyna Khoudri et Anamaria Vartolomei, cette dernière avec un costume à la Lara Croft, peu vêtues et d'une sensualité débordante !), très aguerris, face à des amateurs (avec des "gueules" intéressantes !), avec quelquefois une maladresse dans le débit, dans l'expressivité, dans la posture, mais un plaisir de jouer évident, à réciter des dialogues, de temps en temps volontiers "sublimes et profonds", d'une façon ordinaire, sans le moindre soupçon de flamboyance (par contre, le réalisateur aurait pu choisir quelqu'un au débit un minimum solide pour incarner une journaliste télévisée, au lieu de quelqu'un qui bute tous les deux mots... bref, une professionnelle des médias ou du monde du spectacle !).


Des décors spectaculaires, comme les vaisseaux spatiaux bien spacieux des deux camps ennemis, une cathédrale pour le camp du Bien (donnant une portée religieuse et spirituelle à celui-ci !), un vaste domaine nobiliaire, avec un peu du décorum allant avec, pour le camp du Mal (insistant sur un côté absolutiste se croyant de droits divins, forte propension au matérialisme en supplément ?).


En fait, l'ensemble tire une grande partie de son sel en faisant se confronter deux mondes bien opposés, pas censés se rencontrer. L'un pulvérisant, d'une manière jouissive, toute possibilité épique de l'autre.


Ouais, la lutte du Bien et du Mal, l'avenir de la planète Terre et de ses habitants, se déroulant dans le cadre totalement improbable d'un petit village marin de la Côte d'Opale, avec ses modestes petits pavillons sentant bon et à fond le réalisme (je ne serai pas étonné si je venais à apprendre que Dumont avait demandé aux gens du quartier de ne pas bouger la moindre glacière, le moindre seau de plage, de ne pas arracher la moindre fleur fanée d'hortensia, dans le devant de leur maison !), le tout quasi filmé comme une simple querelle de voisinage.


Un gros regret tout de même, celui de voir les gendarmes les plus inutiles et les plus incompétents de l'univers, mais aussi les plus drôles et attachants, à savoir le commandant Van der Weyden et son adjoint Carpentier des mini-séries P'tit Quinquin et Coincoin, n'apparaître que dans deux-trois séquences en tout (j'en veux plus avec ces deux-là, bordel, je les adore !), même si la toute dernière avec eux (qui est aussi celle du film !) est à mourir de rire, d'un ridicule joyeusement assumé par rapport aux grands enjeux exposés. Une manière marrante, mais beaucoup plus intelligente qu'elle n'y paraît, pour le réalisateur de signifier qu'il ne prend parti pour l'idéologie d'aucun camp, car l'essentiel est ailleurs. Il réside dans les petites gens qui continuent leur existence, dans leurs pensées, loin de tous ses combats, ne répondant pas à leurs préoccupations journalières.


À recommander pour celles et ceux qui jouissent d'avance d'être surpris à nouveau par le toujours surprenant Bruno Dumont, de se laisser pleinement aller dans son monde si singulier (si vous kiffez Quinquin et Coincoin, foncez !). Et pour les nombreux autres qui ne connaissent pas, de près ou de loin, ce cinéaste ? Disons que c'est une expérience... très atypique. Ce qui peut signifier tout aussi bien l'adhésion la plus totale que le rejet le plus complet.

Créée

le 29 févr. 2024

Modifiée

le 29 févr. 2024

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Plume231

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