L'Empire
5.8
L'Empire

Film de Bruno Dumont (2024)

Ah bon ? Star Wars dans le Nord de la France ? C’est la curiosité du mois, peut-être même de l’année. L’impression d’avoir perdu Bruno Dumont est vite démentie une fois qu’on fait face à cet étrange objet, mélange de science-fiction et scènes de la vie quotidienne. Et d’ailleurs, qui étant enfant n’a jamais transformé par son imaginaire des arbres, des sentiers, des plages et mêmes des individus en forces maléfiques dans leur forteresse pour passer les vacances ? Bruno Dumont l’a sûrement fait, et c’est bien la première chose qui est donnée à voir dans ce film : des corps qui se déplacent sur un terrai a priori étranger à l'héroïque des batailles spatiales, des rencontres et des confrontations enfermées dans le carcan du quotidien, mais qui regorgent de tensions (peut-être faussement) dramatiques. Ce contraste entre les enjeux de l’histoire et les conditions de vie à la campagne dans le Nord, c’est ce qui donne ce savoureux pêle-mêle de situations burlesques qui questionnent avec humour la mise en scène de l'épique dans un cadre qui ne s’y prête pas, mais qui peut pourtant l’accueillir si on y infuse la narration par tous les pores.

Burlesque, mais non parodique. Ce film a indéniablement de l’humour, mais ce serait une erreur de penser qu’il se contente de tourner en ridicule les sagas de science-fiction bien connues. Ce qui est drôle, c’est la transposition du narratif (intergalactique si on peut dire) dans la matière même de la vie quotidienne, dans le Nord de la France. Cela se ressent jusque dans les corps « humains » des personnages qui n’en sont pas. Ainsi Fabrice Luchini et son visage complètement contorsionné par son sourire démoniaque, deux amoureux et leurs ébats maladroits, des corps avachis sur la plage ne sachant que faire : c’est ce que peut être Star Wars, mais sans l’abstraction inhérente à son histoire, donc plutôt des entités abstraites (le Bien, le Mal) plongées dans la matérialité du corps et de la campagne, sublimement neutres. Les vaisseaux spatiaux, il y en a, mais il y a aussi des chevaux, des bases secrètes, mais aussi des maisons de campagne où les personnages viennent se cacher.

Finalement, et on aurait pu s’en douter, la trame narrative est bien secondaire dans le film qui représente avant tout des allers et retours entre les bases ennemies, des confrontations très brèves, parfois seulement verbales, des personnages qui se fondent dans le décor ou qui détonnent maladroitement par rapport aux autres humains, et enfin une bataille galactique à la clé qui se dissout littéralement dans un trou noir d’abstraction pour disparaître. Et ce sera la réponse finale du film : « C’est tout ».


jeremstym
8
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le 25 févr. 2024

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