Il y a seulement quelques mois, Claude Schmitz nous présentait un portrait de l’actrice Lucie Debay décliné sur deux médiums : le long-métrage Lucie perd son cheval et la pièce de théâtre Un royaume. On y découvrait un artiste aux sensibilités variées, à la fois intéressé par l’intimisme et le burlesque, avec un goût prononcé pour des personnages décalés et absurdes. Le projet n’était cependant pas exempt d’une certaine fragilité, à la fois dans sa volonté d’hybrider les genres et les pratiques. Si L’Autre Laurens part dans une nouvelle direction tout à fait séduisante, il conserve néanmoins les lacunes de son aîné.

L’introduction nous plonge dans un monde fascinant. Un fantôme aurait été aperçu aux alentours du Helsingor, bar mal famé aux accents expressionnistes. La caméra fait vaciller la lumière d’un lampadaire brillant dans la nuit dès le premier plan, nous plongeant dans une ambiance ésotérique accentuée par la musique électro de Thomas Turine. Puis le film commence à lentement dérouler son exposition tandis que les premières failles s’affichent : la fraîcheur de la protagoniste se voit amoindrie par un jeu inégal, le scénario part dans tous les sens alors qu’il n’a pas encore commencé et ce mini road-trip baigne dans un faux rythme étrange, comme si les changements d’humeur des personnages étaient justifiés par des scènes coupées. On se délecte néanmoins de cette galerie de personnages hétérogènes et hauts en couleurs, impliquant un privé dépressif, Kate Moran en Américaine envoûtante, son frère anciennement marine et surtout, des bikers avec de véritables gueules de cinéma.

Cette première demi-heure définit ce qui sera l’équilibre du film : tantôt bavard et longuet, tantôt magnétique. Dans la droite lignée de Nicolas Pariser et son Parfum Vert, Claude Schmitz détourne les codes du thriller pour y insuffler une véritable légèreté tout en les saupoudrant d’un éventail de références personnelles. Le film jouit d’une liberté totale qui s’avère à double tranchant : si l’inclusion impromptue du 11 septembre 2001 dans l’intrigue apporte un décalage horrifique étonnamment efficace, les ruptures de ton humoristiques sur les policiers façon P’tit Quinquin freinent le récit avec une certaine lourdeur. Le scénario tortueux ne cesse de muter et de transcender les genres avec une efficacité inégale.

Car l’univers de Claude Schmitz ne manque pas de créativité ou d’intensité : L’Autre Laurens séduit lorsqu’il se laisse aller au formalisme ou qu’il exploite généreusement ses influences, à l’image de ce climax jouissif tout droit sorti d’un film d’action américain. Ces fulgurances laissent apparaître un cinéma joyeusement foutraque, qui doit maintenant trouver un équilibre pour pleinement convaincre. On peut donc se réjouir de voir le réalisateur sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, et espérer que ce coup de projecteur facilite la suite de son œuvre à voir le jour.

Auteur : Corentin Brunie

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le 11 déc. 2023

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