Le jour s’est levé. Je crois que j’ai rêvé… mon rapport au cinéma est à jamais changé après le visionnage de cette merveille du 7ème art. La poésie qui s’en dégage est éternelle, universelle.

Dès le générique de début, l’universalité du film est affichée, l’acteur principal joue l’homme, l’actrice principale joue la femme. Tout est dit. Malgré une technique cinématographique vieille de 90 ans et des poussières, que certains détracteurs du muet pourraient qualifier à tort de « vieillotte », ou dire du film, de manière plus générale, qu’il a mal vieilli, les plans sont magnifiques.

Au-delà de l’histoire d’amour entre un homme et une femme, et le bouleversement de celle-ci suite aux infidélités de l’homme, il y a aussi le doux antagonisme, léger, agréable et drôle, entre la rusticité de la campagne et le pragmatisme de la ville, que l’on peut voir à travers une multitude de scènes mémorables.

Comment oublier cet homme élégant dans un salon de coiffure qui se fait rembarrer par « l’homme de la campagne », dont la rudesse amusante peut faire penser à la gaucherie d’un Martin Eden dans une maison de la haute bourgeoisie. Cette maladresse, on la retrouve aussi chez le photographe, lorsque l’un des deux amoureux fait tomber une statue et la casse. Et cette scène de danse entre l’homme et la femme, énième phase de réconciliation entre eux deux, ultime rédemption pour l’homme, qui met du temps à démarrer, tant l’homme, malgré sa musculature imposante, peine à cacher une faible confiance en lui, une timidité maladive qui l’empêche de se jeter à l’eau. Là encore, la ville « agresse » la campagne, un homme dans la foule pousse « l’homme de la campagne » à engager la danse. Piqué au vif, d’un instinct à fleur de peau, fébrile, celui-ci est prêt à en découdre. Mais sa femme, diplomate, intervient. La danse s’engage alors. La campagne amuse, divertit la ville, à l’image de ce cochon qui fuit, poursuivit par « l’homme » dans le cadre d’une fête. De la magie du sauvage au sein de la civilisation.

La rédemption de l’homme et l’effacement (impossible) des actes d’infidélité et de ceux de meurtre qu’il allait commettre passent par une escapade à deux en ville, des vacances courtes et réparatrices, imprévues, impromptues, un séjour ou même une "partie de campagne" en ville. On n'oublie pas les éléments dramatiques qui ont amené les deux tourtereaux par un (mal)heureux concours de circonstances, dont l'issue, finalement heureuse amène à penser qu'il faut laisser le passé (noir) derrière soi, et ne plus le remuer, au risque de passer à côté de tout ce qui fait la vie : ces petits moments drôles et fugaces, partagés à deux, ces moments inoubliables, de la danse, le plaisir d'un bon repas, du vin, la vie célébrée à travers une simplicité universelle dont l'effervescence et l'optimisme qui s'en dégagent sont diaboliquement contagieux, car l'espoir de recouvrer le bonheur d'avant fait vivre.

Des amertumes, de la déception, des frustrations et de la colère, on retient finalement le plus beau. On en arrive à "effacer" toute la futilité de la faiblesse humaine, par une curieuse action de l'esprit qui consiste à se focaliser sur autre chose, sans effort de notre part. Dans la scène chez le coiffeur, ces jeux de regards méfiants et jaloux de l'homme et de la femme montrent un couple recouvrant progressivement une fidélité à toute épreuve, cimentée, repoussant tous les prétendants dragueurs, et tout cela vient nous décentrer de la tristesse accablante qui faisait le début de cette oeuvre hors du commun. Des baisers secrets, timides, si humains, si enfantins. Et quoi de plus inoubliable que ce baiser furtif, si sincère, si vrai, si pur, immortalisé dans une photographie qui fait accéder dans le même temps ce couple à la postérité ?

Le jour se lève sur le monde du cinéma, et plus rien ne sera comme avant.
L’aurore est assurément le plus grand film de tous les temps.
ErrolGardner
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le 17 nov. 2013

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Errol 'Gardner

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