Outre le charisme évident d’Al Pacino, L'Associé du Diable a pour premier atout une réalisation qui entretient jusqu’au dernier quart du film le flou entre un drame psychologique et le fantastique. Ainsi Kevin Lomax, avocat n’ayant jamais connu aucune défaite est recruté par un grand cabinet new-yorkais, qui dépense sans compter à son arrivée. D’un côté, il se voit confier des affaires passionnantes et challengeantes, de l’autre on lui accorde à lui et à sa femme un appartement magnifique, un salaire mirobolant et un accès à l’élite sociale et politique. Son nouveau patron, John Milton est aussi mystérieux qu’omniprésent, semble tout savoir et tout anticiper. Kevin est de plus en plus absorbé par son travail, et repousse petit à petit la ligne rouge de ses convictions. Sa femme Mary Ann au contraire semble sombrer dans la terreur et la folie face à monde dont elle refuse les codes et les représentations, et la perception de plus en plus forte qu’elle est entourée de démons. Kevin se retrouve face à un choix, suivre son séduisant et captivant patron sans scrupules, ou soutenir sa femme.
Comme évoqué en introduction, j’ai trouvé intéressant le trouble entretenu par le film : sommes-nous face à une œuvre fantastique assumée, ou dans un drame dans lequel Mary Ann sombre-t-elle dans la folie tandis que Kevin assume de travailler pour un monde cupide et violent ? Cette ligne grise permet au film d’enrichir sa métaphore à charge du système, en particulier la classe dominante américaine, un entre-soi corrompu et avide, embrassant tous les péchés capitaux. L’Associé du Diable maintient tout au long une grande cohérence dans son propos, et la révélation finale est autant abrupte qu’attendue.
J’ai également apprécié la manière dont Taylor Hackford filme New-York, dans ses hauteurs comme ses bas-fonds, avec comme point commun un éternel fourmillement et un rapport de force permanent entre les classes, le pouvoir, la consommation, et bien sûr la vanité. La prestation de l’ensemble du casting contribue indéniablement au charme vénéneux du film, avec une vraie composition en unisson. Charlize Theron est incroyable dans un registre habité, tandis qu’Al Pacino déploie son art de la rhétorique avec jouissance.
En revanche cette charge critique n’est pas très subtile, en particulier quand elle s’accompagne d’un sous-texte religieux et moralisateur. Car à l’opposé de Milton on retrouve Alice, la mère de Kevin, qui après un passage à New-York s’est tourné plus fortement vers la religion et incarne une figure de moralité. C’est dans ce contexte que je suis surtout déçue par la fin, où le choix amène à une forme de rédemption pour celui qui a refusé (après y avoir gouté quand même) la tentation. Alors oui, on me dira que Satan est toujours là, mais on accorde à Lomax une nouvelle chance. Je trouve ce film bien plus mou que le reste du film, plus intelligent et plus noir.