La bonne épouse est pour moi un résultat vraiment décevant. La bande-annonce promet une comédie qui tire vers la satire, le sujet du film étant les écoles ménagères dans les années 60, juste avant mai 68, et donc avec un fort potentiel. On s’attendait donc à une critique mordante. Mais il n’en ai rien. Déjà, le ton du film n’est pas franchement comique, avec parfois une étrange bienveillance dans l’apprentissage des tâches de la parfaite ménagère, des moments soudainement très sérieux et très graves qui sont très vite mis de côté (on parle quand même de déportation, de suicide, de mariage forcé…). Et une séquence finale complètement en décalage, qui brise maladroitement le 4ème mur.


Le film démarre très lentement, et n’est pas très marquant d’un point de vue réalisation. Pendant 1h30 on assiste gentiment à la formation des jeunes femmes, qu’on maintient dans l’ordre établie, pendant que la directrice va peut à petit découvrir les joies de l’indépendance. Les comédiens sont plutôt bons, mais leurs rôles assez superficiels et mal écrits. Madame Van der Beck occupe tout l’espace, et n’a pas de réel contrepoids en face d’elle. Les jeunes filles représente un bel ensemble mais peu exploité. Yolande Moreau est sous-utilisée malgré le potentiel de son personnage de vieille fille romantique, qui aurait mérité d’être plus piquant. Noémie Lvovsky s’en tire mieux avec son personnage de religieuse bourrue et cocasse, qui apporte un regard plus décalé. Edouard Baer cabotine, sa recette du strudel ne convainc pas. Globalement les personnages et le film manque de recul sur leur sujet. Le regard se fait parfois presque nostalgique, bienveillant, il est difficile de comprendre la vision du film.


La bonne épouse n’est ni suffisant drôle, ni suffisamment percutant ou critique. A l’image de son personnage principal, il reste trop gentil et consensuel, évoquant des sujets sérieux et les balayant immédiatement sous le tapis. Suite à la tentative de suicide d’une juin fille qu’on force à se marier à un homme beaucoup plus âgé, la réplique « ça lui passera » rate complètement son but (qui devais j’imagine souligner comment sont considérées les femmes) car on cherche alors à rassurer madame la directrice enfoncée dans son lit et refusant de se confronter à la réalité.


Et puis il y a cette fin. C’est à croire que tout d’un coup, le réalisateur « n’avait plus le temps », ayant traîné tout son film, et accélère le tempo pour éveiller les consciences. Madame Van der Beck s’achète un pantalon et ça y est, elle est féministe. Elle débarque alors devant son groupe de futures ménagères, sans expliciter son revirement, sans formaliser ce qui se passe. Ce qui a un côté très infantilisant pour ces jeunes filles : on refuse à la fois d’écouter depuis le début du film leurs aspirations, et on ne va pas non plus les inclure quand les adultes soudain se transforment. Malgré son arrière-plan de mai 68, les jeunes filles ne pourront jamais elles passer sur le devant de la scène, comme illustrée dans la dernière séquence, toutes en lignes derrière Juliette Binoche. On part ainsi dans une séquence entre la performance et la comédie musicale, où on égrène des noms de femmes (et il en manque tellement) et des nouveaux « piliers » de la femme libérée. Mais cette tentative est maladroite, déjà car on sort du film, et les personnages sont alors mis en scène en chorégraphie rangée, avec des prises de parole en décalage avec ce qu'était les personnages jusque là. En quoi cette représentation souligne une forme de libération de la femme ? En refusant de rester dans son film et d’assumer sérieusement une prise de conscience de la part des personnages, le film s’arrête et ce sont les actrices qui prennent la parole. Le groupe devient alors non plus militantes dans le mai 68 du film, mais militantes devant la caméra dans le monde de 2020. C’est alors un militantisme de façade, assez peu crédible selon moi.

AlicePerron1
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le 10 juil. 2020

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Alice Perron

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