Lorsqu'on découvre "L'argent des autres" en 2016, on se dit que le réalisateur-scénariste Christian de Chalonge se montre visionnaire dans son analyse du système bancaire et des dérives de ses hauts dirigeants, tant son récit évoque fortement l'affaire qui opposa récemment le trader Jérôme Kerviel à son employeur la Société Générale.


Ici aussi, il est question, à la suite d'un scandale financier, de la mise en cause d'un cadre supérieur du groupe bancaire incriminé, afin de couvrir les véritables responsables des opérations frauduleuses.
Ce fondé de pouvoir ambitieux et naïf, incarné par Jean-Louis Trintignant, a le sentiment d'avoir fait son métier honnêtement, avec toujours l'aval de ses supérieurs hiérarchiques, lorsqu'il s'est chargé du dossier Chevalier d'Aven, du nom d'un homme d'affaires audacieux et peu scrupuleux, campé avec jubilation par Claude Brasseur.


Licencié sans ménagement, Trintignant est confronté à un environnement déshumanisé, tant au niveau de sa propre entreprise (et des ses anciens collègues qui prennent immédiatement leurs distances) que dans sa recherche d'un nouvel emploi, au cours d'entretiens d'embauches aux accents kafkaïens...


On apprécie alors la mise en scène étrange de Christian de Chalonge, aux cadrages inquiétants et à la bande originale dissonante, qui nous immerge parfaitement dans la sensation d'oppression du personnage principal.
Chalonge pose un regard aigu et désenchanté sur la société française de ces seventies finissantes, marquées par le premier choc pétrolier et la fin des Trente Glorieuses, suivis d'une crise économique, notamment au niveau des entreprises.


Dès lors que le personnage de Trintignant réagit, sous l'impulsion de sa femme (Catherine Deneuve) et avec l'aide d'une syndicaliste nommée Arlette (avatar de Laguiller), "L'argent des autres" perd paradoxalement en pertinence et en audace formelle (malgré la très belle séquence finale du procès), le scénario se révélant moins complexe que prévu, et on suit l'affrontement entre le héros et son ancien patron (Michel Serrault) sans déplaisir mais sans passion.


On comprend en outre que si le film de Chalonge peut apparaître précurseur, ce sont surtout les dérives du système bancaire qui semblent intemporelles en réalité, puisque "L'argent des autres" s'inspire lui-même du scandale de la Garantie Foncière, survenu dès 1971!


Au final, si le troisième long-métrage de Christian de Chalonge ne s'avère pas réellement captivant, son visionnage ne manque cependant pas d'intérêt, proposant la déconstruction didactique d'un scandale financier. S'appuyant notamment sur une interprétation convaincante, "L'argent des autres" obtiendra les prestigieux Césars du meilleur film et du meilleur réalisateur en 1978.


On regrettera simplement que le réalisateur français n'ait pas davantage creusé le sillon du thriller oppressant, avec une pointe de fantastique voire d'épouvante, telle que sa mise en scène semblait le lui permettre.

Val_Cancun

Écrit par

Critique lue 843 fois

8
3

D'autres avis sur L'Argent des autres

L'Argent des autres
Val_Cancun
6

Un éternel recommencement

Lorsqu'on découvre "L'argent des autres" en 2016, on se dit que le réalisateur-scénariste Christian de Chalonge se montre visionnaire dans son analyse du système bancaire et des dérives de ses hauts...

le 16 mai 2016

8 j'aime

3

L'Argent des autres
Boubakar
7

Banqueroute !

Pour une fois, je n'aurais pas du mal à résumer le film, car c'est exactement le même cas de figure que l'affaire opposant Jérôme Kerviel à la Société Générale en 2008, à ceci près qu'il a été...

le 23 août 2014

7 j'aime

L'Argent des autres
Eric31
8

Critique de L'Argent des autres par Eric31

L'Argent des autres est un très bon thriller français réalisé par Christian de Chalonge, coécrit par Pierre Dumayet qui met en scéne Henri Rainier (joué par un excellent Jean-Louis Trintignant)...

le 28 juin 2016

4 j'aime

Du même critique

Baby Driver
Val_Cancun
4

L'impossible Monsieur Baby

Cette fois, plus de doute, le cinéma d'Edgar Wright, quelles que soient ses qualités objectives, n'est définitivement pas pour moi. D'ailleurs je le pressentais déjà fortement (seul "Hot Fuzz"...

le 20 juil. 2017

60 j'aime

15

Faites entrer l'accusé
Val_Cancun
9

Le nouveau détective

Le magazine haut de gamme des faits divers français, qui contrairement aux (nombreux) ersatz sur la TNT, propose toujours des enquêtes sérieuses, très documentées, sachant intriguer sans tomber dans...

le 2 avr. 2015

49 j'aime

11

Bullet Train
Val_Cancun
4

Compartiment tueurs

C'est le genre de film qui me file un méchant coup de vieux : c'est bruyant, bavard, ça se veut drôle et décalé mais perso ça m'a laissé complètement froid, tant les personnages apparaissent...

le 4 août 2022

46 j'aime

17