Ce qui rend ce film très intéressant à regarder, alors que son histoire est plutôt banale, c'est la structure de son récit en forme de compte à rebours.
C'est vraiment l'image classique du héros condamné d'avance, du mort à l'arrivée, qui n'a plus rien à perdre.

Là quand même Kurosawa commence à sérieusement maîtriser sa narration, il dévoile toutes les cartes assez rapidement, du coup le film fonctionne comme ça sur un suspense permanent, sans que l'on sache précisément comment les choses vont finir par tourner, mais on sait d'avance que tout va se croiser inévitablement comme dans une tragédie, c'en est même presque trop prévisible :

- Le jeune Yakuza atteint de tuberculose
- Le médecin qui le soigne, et qui a une copine (Chieko Nakakita et sa bonne bouille de hamster, qui était déjà présente dans le précédent "un merveilleux dimanche")
- le Yakuza dont on parle, mais qu'on ne voit pas car il est en prison, et qui va bientôt en sortir
- La copine que le jeune Yakuza croit avoir déjà vue quelque part
....

Tous les éléments sont lâchés progressivement, alors, parfois, ça fait un peu l'effet d'un clin d'oeil intempestif au spectateur "hey mon gars, si on insiste sur la copine et sur le yakuza en prison c'est pas pour rien!", mais ça marche parce que le film est plaisant à regarder, après un début tout de même un poil laborieux.

En fait, sur les trente premières minutes du film, j'étais assez perplexe, parce qu'elles sont surtout réservées au médecin de ce quartier bien pourri de Tokyo. Et le type est franchement fatiguant (bon j'ai compris qu'il allait être présent dans tous les films de Kurosawa par la suite jusqu'à Barberousse, donc je vais devoir prendre mon mal en patience), mais j'ai l'impression qu'il s'est chargé de prendre le relai de Denjiro Okochi, lui aussi déjà bien casse-couilles, dans le rôle du japonais énervé qui braille tout le temps, même quand il n'a pas de raison de s'exciter.

Et puis il y a Mifune, alors c'est pas la première fois que je le vois, je l'avais déjà vu dans le malheureux "soleil rouge" où il se partageait le ridicule du film avec Delon, et lui aussi surjoue énormément (mais apparemment c'est aussi sa marque de fabrique), et pourtant il vole la vedette à tout le monde.

Alors que tout le début du film se présente comme une espèce de mini buddy movie, entre ce bon médecin colérique, et ce Yakuza distant et calculateur, finalement il ne reste plus que son personnage qui va manger tous le monde.

Même les autres mafieux qui arrivent à partir du milieu du film, paraissent ringards à côté, alors que c'est le personnage de Mifune qui est sensé sombrer et s'effondrer petit à petit, à mesure que sa maladie le dévore, et que les enjeux du récit deviennent tendus du slip.

En fait il est parfait dans ce rôle du type trop fier pour admettre ses faiblesses, complètement à la dérive mais qui essaye de faire illusion, et c'est un personnage magnifique qui lui sied à merveille. Il a vraiment l'air d'une peste, il est hautain, moqueur, et finalement humain. LA scène de rêve notamment est sidérante, c'est du film de zombie, c'est presque du Ken Russell (Cf Mahler, China Blue).

Et puis le coup de la guitare qui joue dans la nuit de ce quartier malfamé, et qui annonce l'arrivée imminente du vilain, renforce l'immersion dans cet univers unique de mares poisseuses qui stagnent(motif visuel récurrent chez Kurosawa) et de baraques délabrées.

Bon et ces scènes de bal sont géniales, les travellings insensés qui plongent sur cette chanteuse improbable qui rugit comme une tigresse, Mifune totalement bourré et en transe qui enflamme le dance floor comme dans saturday night fever, le public en folie, un régal vous dis-je.

Il y a même des scènes de duel au couteau façon James Bond, avec des personnages qui changent le couteau de main toutes les 5 secondes pour intimider leur adversaire avant de partir à l'assaut, et de se bagarrer comme des chiffonniers(et j'adore ça).

Ah et cerise sur le gâteau, la BO est superbe, avec une musique qui ressemble à s'y méprendre à "prélude sur l'après-midi d'un faune" (récemment utilisé avec classe par de Palma dans son "passion"), et donc magnifique et qui prend toute sa mesure dans le final du film, ce qui le rend d'autant plus jouissif.

Bref, un Kurosawa où pour le coup j'ai vraiment pris du plaisir, pour sa simplicité et son style.

Créée

le 5 août 2013

Critique lue 593 fois

22 j'aime

6 commentaires

KingRabbit

Écrit par

Critique lue 593 fois

22
6

D'autres avis sur L'Ange ivre

L'Ange ivre
Philistine
10

Critique de L'Ange ivre par Philistine

Un film déchirant qui prend vie grâce au superbe duo Takashi Shimura / Toshirô Mifune. Toshirô joue Matsunaga, un jeune yakuza très puissant, le chef du quartier, qui voit son statut radicalement...

le 14 oct. 2010

38 j'aime

8

L'Ange ivre
SanFelice
9

"Les yakuzas sont incurables"

Par son souci du réalisme, par l’influence notable du cinéma occidental, par l’altruisme de ses personnages, L’Ange Ivre, 8ème film du maître, marque le véritable début de la carrière de...

le 2 mars 2016

34 j'aime

9

L'Ange ivre
Docteur_Jivago
8

Le Dernier des Combats

Avec son huitième long-métrage L'Ange Ivre, Akira Kurosawa nous fait suivre une étroite rencontre puis relation entre un médecin alcoolique et un gangster blessé qui va apprendre qu'il est atteint de...

le 28 févr. 2017

29 j'aime

3

Du même critique

Les 8 Salopards
KingRabbit
8

Peckinpah Hardcore

Le film va diviser... Encore plus que d'habitude pour du Tarantino, mais sur le plan moral essentiellement, là où les précédents Tarantino décevaient également sur la forme, avec des films...

le 25 déc. 2015

259 j'aime

26

Batman & Robin
KingRabbit
9

Pourquoi j'aime (sincèrement) "Batman et Robin"

Je vois bien ce petit jeu qui consiste à se moquer plutôt méchamment et bassement de ce film en tournant en dérision tous ses côtés un peu débiles volontaires ou non. Mais j'aime vraiment bien Batman...

le 16 juin 2013

162 j'aime

25

Battle Royale
KingRabbit
7

Souvenirs de collège

Je me souviens, il y a une douzaine d'années, quand je n'étais qu'un collégien d'1m57, de la salle de perm, à la cour, jusqu'aux couloirs étroits menant au réfectoire, se murmuraient avec insistance...

le 8 sept. 2013

119 j'aime

5