Carlos Eduardo Roberto Puch, est le serial killer le plus célèbre d'Argentine. Arrêté en 1972 alors qu'il a à peine 20 ans, il est condamné à perpétuité pour onze meurtres, deux viols, et dix-sept agressions. Peine qu'il continue toujours de purger dans une prison de haute sécurité.
On comprend vite pourquoi Luis Ortega a choisi ce personnage fascinant. A la fois ange - visage poupin, boucles blondes, lèvres généreuses - et démon, Carlos est un "monstre" au sens premier du terme, celui qui génère du désordre, celui que l'on montre du doigt, celui que les Argentins désignèrent par le surnom oxymorique d'Ange noir. Mais loin d'en faire un portrait réaliste et sombre, le réalisateur opte au contraire pour une mise en scène baroque où humour noir et décors kitchs ne cessent de nous faire oublier qu'on a affaire ici à un des pires assassins que le monde ait connu. C'est la première bonne surprise du film, ce ton décalé dans le traitement d'un personnage qui ne manque jamais de nous surprendre.
Dès la première scène, Carlos entreprend le cambriolage d'une demeure bourgeoise, en pleine journée, avec une insouciance manifeste, mélange de décontraction et d'assurance absolue. A la différence des monte-en-l'air masqués auxquels le cinéma nous a habitué, celui-ci est à peine intéressé par les bijoux ou l'argent qu'il y trouve. Il jette plutôt son dévolu sur un disque qu'il ne tarde pas à écouter sur les lieux même de son forfait, se déhanchant de manière sensuelle, face caméra, sur un tube de l'époque.
La sensualité est précisément ce qui va intéresser Luis Ortega. Après que Carlitos ait fait la connaissance de Ramon, un camarade de lycée, le réalisateur va mettre en opposition les corps des deux jeunes hommes. Celui de Ramon, empreint d'une virilité très sud-américaine et celui de Carlos, tout en ambiguïté : un regard de gosse mais le geste implacable, une bouille d'ange à faire tomber les filles mais une fascination pour le sexe masculin, une mâle assurance mais un visage que le jeune homme lui-même ne cesse de vouloir féminiser. Le réalisateur ponctue régulièrement l'histoire d'épisodes mettant en scène la dimension androgyne et homosexuelle de l'Ange de la mort qui précisément fit fantasmer les foules.
Pour autant, cette ambivalence affichée n'est pas forcément l'aspect le plus intéressant du personnage qui à certains égards dénote bien davantage par sa radicalité et sa toute puissance. Aux côtés de "Blondinet", le père de Ramon, malfrat expérimenté et bourru, passe pour un enfant de chœur. Il y a par moment dans le comportement de Carlos, comme dans son regard, la même détermination que chez l'Alex d'Orange mécanique. L'un comme l'autre ne font pas dans la demi-mesure. Flingue en main, Carlos tue, instantanément et impitoyablement ; on le missionne pour voler une ou deux armes, il ressort avec toute l'armurerie et lorsque son compagnon de forfaitures commence à donner des signes de faiblesse, c'est de la manière la plus radicale qu'il règle le problème.
Mais en revendiquant son droit à voler et à tuer au gré de ses désirs - Carlos incarne à sa manière une forme de liberté funeste mais absolue. Une liberté que Luis Ortega oppose en filigrane à la violence policière du régime militaire comme l'illustre l'étonnant dernier plan du film.


Une formidable interprétation du jeune Lorenzo Ferro pour un film captivant.


Personnages/interprétation : 9/10
Histoire/scénario : 7/10
Mise en scène/musique ++/photographie : 8/10


8/10
<3


Article original sur Lemagduciné

Theloma
8

Créée

le 11 janv. 2019

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Theloma

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